Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
qu’il était éloigné de Rosemonde, la méchante reine aurait découvert le secret du labyrinthe, se serait emparée de la pauvre jeune fille terrorisée et l’aurait obligée à boire un poison mortel ; selon une autre version, elle lui aurait elle-même crevé les yeux. La réalité est plus prosaïque. Rosemonde Clifford vécut avec Henri jusqu’en 1176, année où elle mourut, assez jeune, de maladie. Le roi en fut profondément affecté. Il la fit enterrer dans le couvent de Godstow et fit un don important aux sœurs pour qu’elles entretiennent la tombe de sa bien-aimée et la recouvrent de soie chaque jour, ce qui fut fait jusqu’en 1191, deux ans après la mort du Plantagenêt.
La plupart des légendes font référence au labyrinthe, ce qui permet aux historiens d’avancer que Woodstock a probablement joué un rôle dans la liaison entre Henri et Rosemonde. Nous savons en effet que, dans la résidence de Woodstock, un parc avait été planté dont la beauté faisait l’admiration de leurs contemporains ; et il semble que ce parc ait comporté un labyrinthe de verdure, attraction dont la mode venait juste d’être lancée. Si effectivement Henri a installé sa maîtresse à Woodstock, on peut comprendre que le lien entre le labyrinthe et la tragédie amoureuse se soit imposé aux poètes.
L’hiver 1166-1167 marque un tournant dans la vie d’Henri et d’Aliénor. Leur merveilleuse complicité, cette ambition partagée qui les avait unis peut-être mieux encore que toutes les passions amoureuses, s’est effacée en quelques semaines. Ils vont désormais vivre la vie des couples séparés, se rencontrant le moins souvent possible, et toujours pour parler « affaires », c’est-à-dire pouvoir, mariage, chartes, traités… puisqu’ils ne partageront plus désormais qu’une couronne. Henri reste le maître et en apparence Aliénor, bien que prenant du champ avec les ambitions politiques de son époux, soutient son action.
Deux choses vont maintenant occuper l’esprit de la reine : ses enfants et les terres de ses ancêtres, le Poitou et l’Aquitaine.
En quatorze années de mariage heureux, Henri et Aliénor ont-ils réellement fondé une famille telle que nous l’entendons aujourd’hui ? La réponse est non. Ils n’ont pas élevé leurs enfants. L’usage, dans les grandes familles de ce temps – familles royales, princières, grands féodaux –, est de confier l’éducation des enfants à des nourrices pendant leurs premières années, ensuite à des clercs et enfin à des chevaliers. Cela vaut surtout pour les garçons. Nous avons quelques éléments concernant l’éducation des jeunes princes, mais rien concernant celle des princesses. Henri le Jeune a dans un premier temps été confié à Thomas Becket. Le jeune homme restera d’ailleurs très attaché à lui par-delà la querelle avec son père. Son éducation chevaleresque sera ensuite confiée, à partir de 1170, à une figure emblématique de la seconde moitié du XIIe siècle, Guillaume le Maréchal, « le meilleur chevalier du monde » ainsi que l’a immortalisé Georges Duby {49} .
Quelques indications sur l’éducation de Richard nous sont également parvenues, en grande partie parce qu’il est devenu l’un des souverains les plus populaires de l’histoire anglaise et que de nombreux biographes se sont penchés sur sa vie. Le nom de sa nourrice, Hodierne, nous est connu et l’on sait également que Richard était resté très attaché à elle – une fois couronné, il lui accorda une pension très généreuse. Elle est d’ailleurs la seule nourrice royale de toute l’histoire anglaise à avoir donné son nom à la paroisse qu’elle habitait : Koyle Hodieme, dans le Wiltshire. Son fils, Alexandre Neckham, frère de lait de Richard, profitera également des largesses de la famille Plantagenêt. Il put faire des études à Oxford et recevoir l’abbatiat de Cirencester, dans la région de Bristol. Enfin, dernier enfant d’Henri et d’Aliénor dont nous ayons des renseignements sur l’éducation, Jean, le futur Jean sans Terre, dont le nom de sa nourrice, Agathe, est parvenu jusqu’à nous et qui séjourna fréquemment, dans les premières années de sa vie, parmi les moines et les moniales de Fontevraud. Selon John Gillingham, c’est à partir des années 1165-70 qu’Aliénor s’est véritablement rapprochée de l’abbaye qui dès lors prend une place unique dans l’affection de la reine ;
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