Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
cela pourrait expliquer en partie que Jean soit le seul des enfants du couple à y avoir été élevé.
Très peu d’éléments donc sur l’enfance des princes et des princesses d’Angleterre. On peut néanmoins affirmer qu’ils étaient très bien éduqués. Richard, par exemple, composait des vers et parlait un latin meilleur que bien des évêques de son temps, et Henri incarnera pour ses contemporains l’image du prince-chevalier, courtois et cultivé. Les enfants d’Henri et d’Aliénor ont été élevés dans la tradition des Plantagenêt ; nous avons vu qu’en son temps l’éducation du futur Henri II avait été très poussée, celle d’un homme appelé à régner. Si nous pouvons être à peu près certains de la qualité de l’enseignement que les enfants royaux ont reçu, nous pouvons hélas être convaincus qu’ils ont en revanche manqué de cette affection parentale qui est la pierre angulaire de notre conception contemporaine de l’éducation. La tentation existe d’observer cette famille Plantagenêt avec nos critères issus de l’éducation bourgeoise du XIXe siècle. Il faut s’en garder. Comme la plupart de leurs contemporains, Henri et Aliénor font des enfants pour deux raisons principales : assurer la continuité dynastique et nouer des alliances matrimoniales. Les affects n’entrent pas en ligne de compte. On ne s’attache pas à un enfant susceptible de mourir en bas âge comme ce fut le cas pour le premier enfant des souverains anglais. Henri ne s’intéresse à ses fils que lorsqu’ils approchent d’un âge – vers une dizaine d’années – où ils peuvent jouer un rôle politique ou plus exactement être des pions utiles dans les stratégies politiques. Louis VII agit exactement de la même manière en mariant ses filles ou sa sœur au gré des nécessités d’alliances, et l’acharnement qu’il met à avoir un fils n’a rien à voir avec la fierté d’être le père d’un petit garçon.
Aliénor est, jusque vers ces années 1165-1166, dans le même état d’esprit que son mari. Elle est loin d’être une mère aimante. Au contraire. En cela elle est également représentative des femmes de son rang. Les historiens s’accordent généralement à admettre que l’éloignement amoureux d’Henri va la rapprocher de ses enfants. Elle « devient » une mère à ce moment-là. Comme si soudain, face à la solitude de la vieillesse qui la guette, elle se rendait compte que ses enfants existent, qu’ils sont une part d’elle-même et son « bien »le plus précieux partagé avec Henri. Voilà pour la version romantique. Il existe une autre version : celle d’une femme intelligente, déterminée, qui décide de se venger des infidélités de son mari, ne supporte pas la simple idée d’être éloignée du pouvoir et va utiliser leurs enfants pour parvenir à ses fins. Henri les instrumentalise pour servir sa politique, Aliénor va les instrumentaliser pour servir sa vengeance et faire perdre le pouvoir au Plantagenêt. Elle avait été son plus grand allié, elle va devenir son pire ennemi. Faut-il absolument choisir entre les deux versions ? Il y a probablement un peu de vrai dans chacune. Aliénor s’est rapprochée de ses enfants après sa séparation de fait avec Henri, et quelques années plus tard se servira d’eux dans le but de lui ravir ce pouvoir qui reste sa seule vraie passion. Ce que nous sommes incapables de savoir, c’est si elle a prémédité son action dès les années 1166-1167 ou bien si d’autres éléments vont intervenir qui l’ont poussée à agir et lui en ont offert l’opportunité.
Bien qu’elle estime certainement ne plus rien avoir à faire dans l’île, la reine est restée encore une grande partie de l’année 1167 en Angleterre. La raison principale en est probablement la préparation du trousseau de sa fille Mathilde qui doit partir pour le duché de Saxe épouser Henri le Lion. Les Pipe’s Rolls nous enseignent que la princesse a quitté l’Angleterre avec vingt-huit livres d’or fin pour dorer sa vaisselle, quarante sacs de cuir et quarante coffres contenant robes, bijoux et de riches présents pour sa nouvelle famille. La conclusion de ce mariage est peut-être la dernière joie d’une autre Mathilde, l’Emperesse. Avant de mourir, celle qui avait été impératrice d’Allemagne a le bonheur de savoir qu’une de ses petites-filles va régner sur une partie importante de cette terre qu’elle avait
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