Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
longue porte ses fruits ou l’autoritarisme du Plantagenêt qui irrite de plus en plus ? Toujours est-il qu’Henri sent cette évolution et veut en finir. Il paraît décidé à transiger.
Apprenant que le roi d’Angleterre est à Saint-Denis, Louis VII vient effectivement le rejoindre. Les deux souverains se rendent ensuite au pied de la colline de Montmartre. C’est là que l’archevêque de Canterbury les retrouve. On discute, on argumente, Thomas se retire pendant que le roi de France et quelques prélats interviennent en sa faveur… il y a des navettes de négociateurs entre Henri et Thomas, et finalement on parvient à un accord. Herbert de Bosham est à nouveau témoin de la scène : « La clause sauf l’honneur de Dieu qui avait été lors de la précédente conférence source de tant de colère et de si vives discussions, fut cette fois entièrement passée sous silence. Et il n’y avait pas lieu d’en parler puisqu’il ne s’agissait pas pour l’archevêque de se soumettre au bon plaisir du Prince en matière ecclésiastique. Le roi demandait seulement que l’archevêque rentrât en Angleterre, d’où il soutenait d’ailleurs ne l’avoir jamais chassé ; qu’il remplît les devoirs de sa charge ; qu’il reconnût et respectât les prérogatives royales et les coutumes, et qu’il ne commît aucune intrusion dans les affaires temporelles, au nom de l’Église, pas plus que lui-même n’empiéterait sur les droits ecclésiastiques […]. » Tout semblait donc rentrer dans l’ordre à la satisfaction générale « lorsque l’archevêque fit demander au roi un gage de paix ». Ce gage, c’est le baiser de la paix. Pierre Aubé indique que c’est une précaution assez traditionnelle tout en précisant qu’il s’agissait d’un engagement considérable. « C’était par un baiser de la paix que se scellait l’hommage vassalique : cet échange de souffles puissamment symbolique créait des liens concrets que rien ne pouvait rompre sous peine de forfaiture {61} . »
Henri refuse en disant qu’il aurait volontiers donné le baiser de la paix à l’archevêque mais qu’un jour de colère il a juré devant de nombreux témoins qu’il ne le ferait jamais même si la concorde régnait à nouveau entre eux ; cela dit, il affirmait ne conserver aucune rancune ni ressentiment envers Thomas. Personne n’est dupe du prétexte. La sécurité de l’archevêque n’est pas garantie. Il vaut mieux en rester là. La seconde tentative de conciliation échoue.
Thomas menace de frapper le royaume d’interdit. Henri ne veut rien entendre. L’archevêque fixe une limite à février 1170, le pape intervient pour le tempérer. Le roi de France soutient Thomas. Il tire un profit moral évident de sa position d’arbitre entre le roi et l’archevêque. Henri décide alors de faire sacrer roi son fils aîné Henri le Jeune, qui approche de ses quinze ans. C’est une décision à la fois politique et successorale. Il est de tradition depuis Charlemagne qui avait lui-même, peu avant sa mort, couronné son fils Louis le Pieux, que les rois fassent sacrer de leur vivant leur successeur ; les Capétiens procèdent de cette manière depuis plus d’un siècle et demi ; Louis VII lui-même, un an avant sa mort en 1179, fera sacrer son fils Philippe Auguste. Ce couronnement pourrait se comprendre comme une suite logique à la paix de Montmirail où les trois fils du Plantagenêt ont fait hommage pour leurs héritages respectifs et où il était annoncé que l’aîné succéderait à son père sur le trône d’Angleterre. Seulement Henri n’a pas l’intention d’abandonner une once de pouvoir à son fils et, de ce que l’on peut deviner de la psychologie du roi, ce couronnement est assez prématuré. La raison est ailleurs et directement liée à Thomas Becket. Les rois d’Angleterre sont traditionnellement couronnés par l’archevêque de Canterbury. En faisant sacrer son fils par un autre archevêque, Henri inflige à Thomas un camouflet considérable ; d’autant que le prélat qui doit officier est l’archevêque d’York, Roger de Pont-l’Evêque, l’ennemi juré de Becket.
Dès le début mars 1170, le roi d’Angleterre traverse la Manche accompagné de son fils. Les intentions d’Henri ne sont pas passées inaperçues. De son côté Thomas fait activer ses partisans à la curie pour que le pape intervienne. Alexandre III est très attaché au principe du sacre par
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