Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
d’entendre hennir
les chevaux démontés, en forêt,
et crier : « À l’aide, à l’aide ! »
et voir tomber dans les fossés
grands et petits dans la prairie,
et voir les morts avec, dans le côté,
tronçons de lance et leurs fanions {57} .
Tout comme pour la légende arthurienne ou la lyrique courtoise, Henri et Aliénor sont inévitablement liés au développement de la chevalerie tel qu’il se déroule dans la seconde moitié du XIIe siècle. Pour cette raison qu’ils sont au pouvoir à ce moment-là et qu’ils ont les moyens de financer le processus. La chevalerie est une forme d’art de vivre qui trouve son expression la plus visible dans le tournoi mais dont l’essence et la finalité sont beaucoup plus profondes.
Cet art de vivre procède d’une transformation du rôle du militaire, du guerrier, à la charnière entre le XIe et le XIIesiècle. Georges Duby a montré comment, autour de l’an mil, la naissance de la société féodale s’est faite dans la violence et la guerre. Lorsque les principautés ont commencé à se définir, les guerres ont progressivement diminué et les guerriers ont perdu une partie de leur utilité. L’Église a alors « inventé » la croisade qui a donné un nouveau but aux hommes de guerre et dans le même temps le personnage du « chevalier » est apparu qui correspond à une sorte de « spiritualisation » du guerrier. Il n’est plus un soudard n’existant que par sa force physique, sa capacité à tuer le plus grand nombre d’adversaires et son habileté à éviter de se faire tuer, il devient une sorte de protecteur du faible, de la veuve et de l’orphelin, portant haut ses valeurs morales et son éthique, et bien évidemment défenseur de l’Église qui va en partie récupérer à son profit le personnage du chevalier. La cérémonie de l’« adoubement » est de ce point de vue-là très instructive. Elle a le plus souvent lieu à la cour seigneuriale, royale lorsqu’il s’agit d’Henri et d’Aliénor, pendant les fêtes religieuses, Pâques ou Pentecôte. La chevalerie, qui deviendra une caste aristocratique au XIIIe siècle, est encore du temps des souverains anglais une « éducation » ouverte à tous les jeunes laïcs et offre une réelle perspective d’ascension sociale ; Guillaume le Maréchal en sera un vivant exemple.
La littérature de ce temps recèle les meilleurs exemples de ce qu’était un chevalier, du moins ce que l’on imaginait qu’il devait être. Ainsi l’éducation du jeune Caradoc dans Le Livre de Caradoc écrit par un auteur anonyme à la fin du XII e siècle : « ... il lui enseigna qu’il fallait être sage et avoir de bonnes manières, savoir jouer aux échecs, au trictrac et à tous ces jeux auxquels un homme noble doit être habile. Il lui faut aussi respecter les dames et les demoiselles et être le défenseur des jeunes filles dans le besoin ; qu’il prenne garde de ne pas leur manquer. ... ] Qu’il ne se mette jamais à fréquenter traîtres ni flatteurs ; qu’il soit toujours aimable avec les gens de bien et distant avec les méchants. ... ] Et quand il sera chevalier, qu’il ne soit pas vantard ; dans l’action, qu’il se montre le meilleur, et hors du champ de bataille, le plus réservé. ... ] Ainsi le bon roi lui montre-t-il à prendre la vaillance pour enseigne, le bon sens et la mesure pour bannière : il en aura bien plus de valeur, car la démesure ou l’insolence n’ont rien à voir avec l’honneur ou l’idéal chevaleresque. Il lui faut être courtois et bien éduqué ; il en tirera honneur et estime {58} » À y bien regarder, ce sont des principes d’éducation assez généraux auxquels, pour une grande partie d’entre eux, nous pouvons aujourd’hui parfaitement souscrire.
Ce sont ces mêmes principes qui ont été enseignés aux fils d’Aliénor et d’Henri : Henri le Jeune, Richard, Geoffroy et Jean. Nous n’avons aucun élément pour apprécier la teneur de cette éducation mais les œuvres littéraires contemporaines nous renseignent. Il ne faut pas perdre de vue malgré tout qu’il s’agit de littérature et que les personnages y atteignent une perfection à laquelle les jeunes princes Plantagenêt ne sont probablement jamais parvenus. John Gillingham rapproche, par exemple, l’éducation de Richard de celle du jeune Tristan dans l’œuvre du poète médiéval Gottfried de Strasbourg : « Dans sa septième année, son père [adoptif]
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