Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
et des prélats qui ont assisté au couronnement d’Henri le Jeune, et sur ce point précis il est décidé qu’une fois retourné en Angleterre, l’archevêque de Canterbury procédera à un nouveau couronnement. Thomas retrouve toutes ses prérogatives de primat d’Angleterre. Silence sur les Constitutions de Clarendon – qui de fait ont été acceptées par tous les hauts dignitaires du clergé anglais – et sur le baiser de la paix. Herbert de Bosham décrit ainsi les réactions très mitigées à l’accord de Frétéval : « Les uns se félicitèrent ; les autres, qui avaient poussé au trouble et à la discorde, furent tristes et confus, tandis que plusieurs se bornèrent à croire que tout n’était pas sincère. » Une question reste en suspens, que personne n’ose poser : quelle confiance peut-on faire à la parole du roi à partir du moment où il n’a pas donné ce gage absolu de pardon ? C’est en fait la dernière fois qu’Henri et Thomas se rencontrent. Au moment de se séparer, le roi raccompagne l’archevêque à son cheval et, en gage d’amitié, lui tient l’étrier. Thomas aurait alors eu cette phrase : « Monseigneur, j’ai le sentiment que nous ne nous rencontrerons plus jamais ici-bas. »
Quel que soit le pressentiment de l’archevêque, dès son retour de Frétéval, il dépêche le fidèle Herbert de Bosham en Angleterre pour organiser son retour dans l’île et sa réinstallation à Canterbury. L’« affaire Becket » semble terminée. Henri II a, « une fois encore, en virtuose, vaincu le temps {62} ».
La reine Aliénor était absente de la négociation. Rien, par ailleurs, ne permet d’avancer qu’au retour d’Henri sur le continent le couple se soit rencontré alors que la reine était à Caen. Tout se passe comme si la duchesse d’Aquitaine se désintéressait totalement de l’affaire et ne souhaitait qu’une chose : retourner au plus vite dans ses terres auprès de son fils Richard.
Au mois d’août, Henri II tombe gravement malade. Une vilaine fièvre l’anéantit au point qu’il songe sa dernière heure venue. Un peu plus tôt, il a envoyé une longue lettre en Angleterre dans laquelle il pardonne à Thomas Becket. Le roi dicte également un testament qui reprend les dispositions de Montmirail : au roi Henri le Jeune l’héritage des Plantagenêt, à Richard celui des ducs d’Aquitaine, la Bretagne à Geoffroy et rien pour Jean dont la « dot » est placée aux bons soins de son frère aîné. Dans ce testament, il fait le vœu d’être enterré au monastère de Grandmont ; il semble que l’un de ses moines ait joué un rôle important dans les négociations qui viennent de s’achever avec succès.
Contre toute attente, le roi se rétablit et effectue à l’automne un pèlerinage à Rocamadour, dans le Quercy. Dans le même temps, il reprend en main les affaires, envisage sérieusement une opération en Auvergne, revendique l’archevêché de Bourges comme revenant à l’Aquitaine – manière de bien montrer qu’il est le maître et que Richard et Aliénor ne disposent que d’une autonomie relative – et conclut le mariage de sa fille Aliénor avec Alphonse de Castille. Enfin il « convoque » la reine en Normandie, à Bures, pour tenir ensemble leur cour à Noël. C’est en cette fin décembre 1170 que va se produire l’un des événements les plus retentissants et les plus tragiques de l’histoire anglaise : l’assassinat de Thomas Becket.
Entre l’accord de Frétéval et son embarquement pour l’Angleterre, Thomas Becket a eu tout le temps de se rendre compte que son retour dans l’île ne serait pas facile. En six ans d’absence nombre de domaines de l’archevêché, devenus vacants, sont administrés par des seigneurs au nom du roi, lesquels mettent la plus mauvaise volonté à restituer ces fiefs à l’archevêque. Certains, comme Ranulf de Broc, l’un des conseillers d’Henri le Jeune, se vantent publiquement de leur intention de « supprimer » – le mot est employé par Thomas dans une lettre à Henri II – l’archevêque à son arrivée ; sans oublier les prélats ennemis de Thomas qui n’avaient pas l’intention de retomber sous son autorité. Plusieurs fois Becket a envoyé des courriers au pape qui l’a autorisé à utiliser, si besoin était, des sanctions canoniques contre qui lui semblerait bon, à l’exception du roi, de la reine et des princes. Devant les récriminations de
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