Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
pays était plongé depuis sept ans et aspirait au retour de la prospérité qu’elle avait connue du temps du vieux roi.
De ce point de vue-là, le recours à Mathilde n’était pas des plus judicieux. Elle se montra, comme on l’a dit, arrogante, coléreuse, autoritaire et se mit beaucoup de monde à dos y compris au sein de ses plus fidèles soutiens. Avant même qu’une date de couronnement ne soit arrêtée, certains commencèrent à penser qu’ils avaient commis une erreur et, de fait, Mathilde ne sera jamais couronnée. La guerre civile redoubla et le pays se trouva partagé en deux : l’Ouest restant fidèle à Mathilde et l’Est à Étienne. Dans le même temps, Geoffroy Plantagenêt, laissant sa femme s’occuper de « son » île, grignotait à son profit les terres du duché de Normandie.
Mathilde ne fit pas seulement preuve de maladresses dans ses rapports aux autres. Elle prit des mesures impopulaires, leva des impôts exorbitants au regard de la situation chaotique du pays, peu propice, comme toujours, à la bonne marche de l’économie. Elle commit la même erreur qu’Étienne en contestant les possessions continentales d’Eustache de Boulogne, son fils, montrant, elle aussi, le peu de cas qu’elle faisait du lien féodal. Le cardinal de Winchester, qui n’en était pas à un retournement de soutane près, se rapprocha de son frère l’ex-roi Étienne. Apprenant cela, Mathilde, furieuse, se déchaîna sur la ville de Winchester qui fut mise à feu et à sang. Henri de Blois fut obligé de fuir, mais il emmena avec lui un prisonnier de choix, Robert de Gloucester, capturé pendant la bataille. Mathilde tenait Étienne, le cardinal tenait Robert : on négocia. Le 7 décembre, le cardinal de Winchester, légat pontifical, rétablissait Étienne sur le trône et excommuniait les partisans de Mathilde. Cette dernière était obligée de quitter définitivement le sol anglais. À partir de là, le roi Étienne passa son temps en guérillas permanentes pour maintenir dans l’île un pouvoir sans cesse contesté par les tenants des Angevins et les barons trop heureux d’avoir retrouvé une autonomie par rapport au pouvoir central. Il ne pouvait maintenir deux fers au feu et délaissa la Normandie dont Geoffroy Plantagenêt s’empara définitivement en 1144.
Jamais Mathilde n’accepta son éviction du trône. Elle continua avec vigueur à clamer ses droits. Quinze ans plus tard, son fils s’apprêtait à récolter les fruits de cette obstination, et c’est une autre femme, sa belle-fille Aliénor, qui porterait la couronne de reine d’Angleterre.
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Nul doute qu’au cours de l’année 1154 la reprise en main de l’Angleterre est la tâche primordiale que se sont fixée Henri et Aliénor. Ils ont besoin d’avoir les coudées franches du côté du roi de France. Depuis qu’il a résisté à la tentative d’invasion de la coalition réunie par Louis VII et qu’il est assuré de monter sur le trône anglais, le duc de Normandie est en position de force. Il propose une paix au roi de France qui ne peut que l’accepter. Le Capétien restitue les deux places fortes de Vernon et de Neufmarché dont il s’était emparé l’année précédente contre une indemnité de deux mille marcs. Il renonce également au titre de duc d’Aquitaine qu’il s’obstinait à porter sous prétexte que ses deux filles, nées de son mariage avec Aliénor, étaient les héritières du duché. La naissance du petit Guillaume en août 1153 avait repoussé ses filles dans l’ordre de succession et la nouvelle grossesse d’Aliénor allait encore modifier les choses. Il semble que le roi de France n’ait pas demandé d’autre contrepartie aux Plantagenêt que les deux mille marcs. Il aurait raisonnablement pu demander que son rival lui prête serment ; c’était tout à fait courant à l’époque, et même logique. Qu’il ne l’ait pas fait montre à quel point il se sent impuissant face au pouvoir qu’Henri et Aliénor vont détenir. Il a compris qu’il doit renoncer à la solution militaire pour contenir l’ambition des Plantagenêt. Il lui reste deux moyens d’action : la diplomatie et l’autorité morale que lui confère sa couronne. Si le roi de France ne doit retenir qu’une chose de l’héritage de Suger, c’est le conseil de s’appuyer sur la force symbolique que représente l’onction divine au moment du couronnement. Cette réflexion sous-tendait déjà l’action politique
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