Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine

instant qu’il attend depuis sa naissance. Ni sa mère Mathilde, ni son père Geoffroy n’ont douté qu’un jour cette couronne leur revienne. Henri a été élevé comme l’héritier. Il est né pour cet instant, né pour endosser ce pouvoir qu’il considère comme son dû et pour lequel il a été éduqué dès son plus jeune âge. Car contrairement à l’image longtemps enseignée d’un Moyen Âge barbare, gouverné par des hommes essentiellement préoccupés de la satisfaction immédiate de leurs plus bas instincts, les Princes de la fin du XIIe siècle sont pour la plupart des hommes conscients de la charge que représentent leur fonction et le gouvernement d’autres hommes. Les violences, les « barbaries » sont plutôt le fait de petits seigneurs de guerre sans foi ni loi que des grands féodaux. Henri est l’archétype du Prince de son époque.
    De son côté, Aliénor mesure, avec un certain humour, l’ironie d’une situation qui la voit pour la deuxième fois de sa vie porter une couronne. A-t-elle une pensée « émue » pour Louis VII en cet instant ? On peut l’espérer. Autour de la reine commence à flotter un parfum de légende. On murmure que, quinze ans plus tôt, en 1140, lors du concile de Sens où l’on avait condamné le célèbre théologien Pierre Abélard, Jean d’Étampes, un vénérable prélat, aurait dit à celle qui était à l’époque la reine de France : « Noble dame, on parle de vous depuis longtemps et on en parle encore plus encore. Vous êtes celle qu’annonçait le prophète Merlin, il y a six cents ans, lorsqu’il vous représentait comme un grand aigle, ses deux ailes à la fois sur la France et sur l’Angleterre. » La reine, un peu surprise, aurait répondu : « Je ne vois pas le roi, mon époux, rééditant dans cette île les exploits de Guillaume le Conquérant. – Il ne s’agit pas du roi Louis, aurait enchaîné Jean d’Étampes. Cet Aigle dont il est question dans la prophétie de Merlin, c’est vous, belle reine Aliénor. – Il ne me reste plus qu’à être veuve pour donner raison à Merlin », aurait conclu la reine {20} Elle n’est pas veuve, elle est mariée à un homme quelle aime et elle porte désormais cette deuxième couronne. Elle avait reçu la première avec l’insouciance d’une belle jeune fille de quinze ans. Elle n’en avait compris que les droits. Elle l’avait mal portée, cette première couronne. Mais elle a appris et tout ce qu’elle sait maintenant de l’exercice du pouvoir, elle va l’appliquer aux côtés d’Henri.
    Une personne manque à ce couronnement : l’Emperesse Mathilde. Il eût été normal qu’elle y assistât. Son absence montre combien elle avait attiré d’antipathie par sa morgue et ses maladresses. Cette absence a probablement été négociée avec Henri et Aliénor. Certes, ils ont besoin de quelqu’un pour tenir la Normandie pendant qu’ils séjournent dans l’île, mais un sénéchal bien choisi aurait fait l’affaire aussi bien que la reine mère. Aux Anglais, il faut montrer de manière frappante que la période de guerre civile est terminée ; que Mathilde soit restée sur le continent procède de cette volonté des nouveaux souverains. Nous avons affaire à des « politiques » déterminés, qui ne laissent rien au hasard.
    La cérémonie du couronnement se déroule en l’abbaye de Westminster, érigée cent ans plus tôt par le saint roi Édouard le Confesseur, en présence de nombreux prélats et d’une grande partie de la noblesse anglo-saxonne. Il ne s’agit plus du couronnement « à la sauvette » d’Étienne de Blois. La couronne qu’Henri reçoit ce jour-là est parfaitement légitime. Pour tous les participants, la cérémonie marque un tournant de l’histoire de l’Angleterre. La page de la guerre civile est définitivement tournée. Cette période se referme comme une parenthèse que chacun tentera d’oublier au plus vite. Chacun ? Peut-être pas. Le peuple qui souffre depuis si longtemps, victime des guerres que se livrent de petits seigneurs de guerre ? Certainement. Les marchands, bourgeois, commerçants, qui aspirent à une tranquillité civile source de prospérité ? Certainement aussi. Ces petits seigneurs de guerre qui ont profité de la faiblesse du pouvoir d’Étienne pour acquérir une réelle indépendance ? C’est moins sûr. Et ce d’autant plus qu’il est clair qu’Henri va prendre les choses en main et tout faire pour