Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
aventureux et bons marins, vont chercher des épices jusqu’en Asie mineure – et on y charge notamment de l’étain dont on fait un usage fréquent à l’époque. Depuis l’invasion de l’île par Guillaume le Conquérant, Londres est progressivement devenue une plaque tournante entre la Normandie et l’Angleterre. La Manche est en permanence traversée par des navires qui font l’aller et retour entre les deux pôles du royaume anglo-normand, apportant notamment de Rouen des draps, du cuir et des salaisons. Sous le règne d’Henri 1er Beauclerc, Londres faisait office de capitale du royaume anglo-normand, même si elle n’en avait pas le titre officiel. La ville bénéficie de statuts particuliers qui datent d’Édouard le Confesseur, avant même la venue du Conquérant. Ces statuts lui donnent une très large autonomie administrative et financière que le duc de Normandie n’a pas pu remettre en cause et que son fils Henri 1er a étendue en octroyant à la ville une charte de libertés permettant aux bourgeois de porter le titre très envié de « barons de la cité ».
Cette ville fourmillante et riche attire les ambitieux et les aventuriers venus y faire fortune de toute l’Europe et avec eux une population interlope qui forme une pègre hétéroclite : coureurs de filles, noceurs, eunuques, rôdeurs, vendeurs de drogues, sodomites, mages, diseuses de bonne aventure, mimes, baladins, mendiants, parasites, assassins, sans oublier les incontournables filles publiques. Le chroniqueur Richard de Devizes en dresse un inventaire qui ressemble à un concentré de tous les vices connus et trace de la population londonienne un portrait peu encourageant : « Venus de tous les pays connus sous le soleil, toutes sortes d’hommes s’y trouvent réunis. Chaque peuple a apporté dans cette cité ses vices et ses habitudes. Personne n’y vit sans commettre de crimes, chaque quartier ruisselle de sinistre indécence. »
À la lecture de ces quelques lignes, on pourrait croire que la ville est essentiellement un lieu de perdition. Il n’en est rien Londres présente toutes les caractéristiques d’une grande ville de l’époque. On y trouve notamment une élite intellectuelle qui se livre à de longues disputes de grammaire ou de rhétorique autour de la cathédrale Saint-Paul ou de Saint-Martin-le-Grand. Une fois par semaine des courses de chevaux sont organisées, et pendant les périodes de carnaval les cours d’école abritent des combats de coqs. Les célèbres combats navals – qui se déroulent encore de nos jours – ont lieu pendant les fêtes de Pâques, attirant une foule nombreuse qui se masse sur les bords de la Tamise. L’amateur peut pratiquer toutes sortes de sports : lutte, lancer du javelot, parties de ballon… et l’hiver faire des glissades sur les marais gelés au nord de la ville. Une ville fourmillante, bruissante, comme la plupart des ports, mais avec cette particularité que tout semble démultiplié par l’une des plus fortes densités de population pour l’Europe de l’époque.
Sous le règne débutant d’Henri II, Londres aspire à redevenir la capitale « virtuelle » de ce qui était le royaume anglo-normand et va bientôt devenir l’empire Plantagenêt. Entre les territoires apportés par Aliénor, l’Anjou et la Touraine de la famille d’Henri, la Normandie et l’Angleterre, une activité commerciale croisée et complémentaire va très vite se mettre en place, elle fera la richesse des Plantagenêt. Londres sera l’axe de ce commerce. C’est de la situation d’échanges commerciaux créée pendant la seconde moitié du XII e siècle que naîtront, par exemple, les liens particuliers unissant les Anglais avec la Gascogne et faisant de l’Angleterre, encore aujourd’hui, un pays où le vin de Bordeaux est très apprécié. Henri aura toute sa vie une prédilection « affective » pour l’Anjou et la Touraine de son enfance, et un attachement profond et raisonné pour la Normandie qui lui sera toujours d’une fidélité indéfectible ; Aliénor préférera son Aquitaine et son Poitou, avec une tendresse toute particulière pour sa douce ville de Poitiers. Pourtant ce n’est ni Tours, ni Angers, ni Rouen, ni Bordeaux, ni Poitiers qui deviendront le poumon économique de l’empire Plantagenêt, mais bien cette froide ville anglaise pour laquelle ses nouveaux souverains ne manifesteront jamais une grande passion.
La question se posera de
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