Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine

savoir s’il existe entre tous les territoires placés dans les mains d’Henri et Aliénor une véritable unité politique. Or, sur le plan économique, cette unité existe. Il faut imaginer les navires chargés des marchandises les plus diverses effectuant d’incessants allers et retours entre les grands ports atlantiques des Plantagenêt : La Rochelle, Bordeaux, Bayonne et Londres. Henri et Aliénor vont régner sur un vaste territoire économique qui fera d’eux les souverains les plus riches et les plus puissants de leur temps ; un territoire qui s’agrandira par la suite de la Bretagne et d’une partie de l’Irlande.
    Pour l’heure, le couple est à Bermondsey. La grossesse d’Aliénor se déroule normalement. À la toute fin de décembre 1154, après les fêtes de Noël, les souverains réunissent la première grande assemblée de leur règne. Barons, prélats, clercs, officiers royaux, tous ceux qui détiennent un peu de ce qui reste d’autorité dans l’île ont été convoqués. Il ne s’agit pas d’une décision prise dans l’instant. Henri et Aliénor avaient mûrement réfléchi leur prise effective de pouvoir et cette assemblée avait certainement été convoquée avant le couronnement.
    C’est très probablement lors de cette assemblée qu’Henri rencontre un homme qui l’aidera considérablement dans sa tâche de restauration de l’autorité royale en Angleterre et deviendra l’un des personnages clés des quinze ans à venir : Thomas Becket.

8 Inspecter et surprendre
    Le début de l’année 1154 est un tournant dans la vie du couple royal. Une première époque se termine qui aura duré deux ans et s’est caractérisée par une grande indépendance des deux époux l’un par rapport à l’autre. Cette indépendance est surtout remarquable du côté d’Aliénor, assez exceptionnelle compte tenu des usages de l’époque. Une fois couronné, Henri change la donne. Il a atteint l’objectif qu’il s’était fixé et pour lequel son père et sa mère avaient vécu pendant près de trente ans. Et, ce qui n’est pas négligeable, il a réussi sans trop verser de sang, en exploitant habilement la situation. Il dispose d’un réel crédit auprès de la population anglaise et d’une bonne partie de l’aristocratie normande. Son autorité, son énergie et son sens politique attirent autour de lui des personnalités de premier plan qui comprennent vite tout le bénéfice aussi bien matériel que de notoriété qu’il y a à s’attacher à lui. Et Henri sait adroitement jouer des avantages que lui donnent son nouveau statut de roi couronné et son crédit pour amener à lui certains barons, soutiens du roi Étienne qui avaient tout à craindre de l’arrivée du Plantagenêt. Sur ce point, un des cas les plus typiques est celui de Richard de Lucé, que nous avons vu signer, en tant que témoin, la charte promulguée par le roi au lendemain même du couronnement. Lucé a été l’un des fidèles d’Étienne de Blois dont il a servi les intérêts avec loyauté et compétence. Il est probable que c’est lors des négociations qui ont abouti à l’adoption d’Henri que ce dernier a rencontré Richard de Lucé et a pu se rendre compte de ses qualités. À peine couronné, le jeune roi le nomme justicier du royaume. C’est un choix qui s’avérera judicieux. Lucé lui sera d’une fidélité exemplaire jusqu’à sa mort. Il servira l’État sous Henri II avec les mêmes compétences et loyauté qu’il avait manifestées sous Étienne, restant jusqu’au bout ce que nous appellerions aujourd’hui un grand commis de l’État.
    De même, lors des négociations de 1153, Henri avait pu mesurer l’intelligence et les qualités humaines de l’archevêque de Canterbury, Thibaud, qui était parvenu à convaincre Étienne de Blois d’accepter une solution apportant la paix au pays. Aussi, quand il est question de trouver un chancelier pour seconder le roi dans sa tâche de redressement de l’Angleterre, Henri écoute avec intérêt les arguments de l’archevêque qui propose son archidiacre, Thomas Becket. Là encore, le choix sera, du moins durant les premières années du règne du Plantagenêt, des plus judicieux, même si la collaboration entre les deux hommes se terminera de manière sanglante.
    Henri et Aliénor savent s’entourer. Ils ont compris que l’immensité et la diversité des terres qu’ils gouvernent imposent, sinon de déléguer les pouvoirs, du moins