Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
l’Église tout entière, les diverses activités des philosophes, j’ai cru voir, plein d’admiration, l’échelle de Jacob dont le sommet touchait le ciel et qui était parcourue par les anges en train de monter et descendre. Enthousiasmé par cet heureux pèlerinage, j’ai dû avouer : le Seigneur était ici et je ne le savais pas… » Ce souvenir de l’un des plus grands intellectuels de son temps donne une idée de l’ambiance qui régnait alors sur les bords de la Seine. Pour faire bon poids, il faut aussi reconnaître que la « vulgarisation » de la réflexion philosophique, dont Paris s’était fait une spécialité, n’était pas du goût de tout le monde. Au début du XIIIe siècle, Étienne de Tournai, abbé de Sainte-Geneviève, écrira : « On dispute publiquement, en violation des constitutions sacrées, des mystères de la divinité, de l’incarnation du Verbe […]. L’indivisible Trinité est coupée et mise en morceaux aux carrefours ! Autant de docteurs, autant d’erreurs ; autant d’individus, autant de scandales ; autant de places publiques, autant de blasphèmes ! Les maîtres parisiens sont des marchands de mots {25} ! »
Nous avons très peu de détails sur le séjour de Thomas Becket à Paris ; on ignore par exemple quel type d’enseignement il y suivit. Ce qui nous importe, c’est qu’il a baigné au moins plusieurs mois sinon plusieurs années dans cette ambiance d’effervescence intellectuelle. Il y a sans doute appris à connaître ce peuple dont le roi sera par la suite le « meilleur ennemi » de son souverain et qu’il aura lui-même, de ce fait, à combattre. Nous savons en revanche que c’est à Paris que Thomas rencontre Jean de Salisbury et que les deux hommes deviennent amis. Ils le resteront jusqu’à la mort de Thomas. Jean sera l’un des conseillers les plus proches du futur archevêque, son « maître à penser » si l’on en croit Martin Aurell {26} . Il lui sera d’une indéfectible fidélité et on lui doit la première biographie de Thomas Becket.
Thomas Becket ne finira pas ses études à Paris. Son père connaissant d’importants revers de fortune, le jeune homme est contraint de rentrer à Londres vers sa vingtième année. À peine est-il de retour que sa mère, Mathilde, meurt. Thomas doit travailler. Il entre au service d’un riche bourgeois, apparenté à sa famille, dont il devient le secrétaire. Il restera auprès de lui trois ans, le temps de devenir son homme à tout faire, irremplaçable, et de se faire remarquer comme un jeune homme ambitieux aux indéniables capacités d’administrateur. Il entre ensuite au service de l’archevêque de Canterbury, Thibaud.
Homme puissant et respecté, Thibaud de Canterbury réunissait autour de lui, dans sa cour, ce qu’il y avait de plus brillant parmi les clercs ambitieux de l’époque. Sa cour était une pépinière de jeunes talents, dont, pour n’en citer qu’un, Jean de Salisbury, que Thomas retrouve à cette occasion. Ayant su ne prendre officiellement parti ni pour Étienne de Blois ni pour Mathilde d’Anjou, l’archevêque jouerait à l’évidence un rôle essentiel dans le règlement de la crise de succession, c’était donc auprès de lui qu’il fallait se trouver si l’on voulait avoir une place de choix dans l’avenir. Thomas en était sans doute conscient, pourtant il semble qu’il se soit fait un peu prier pour rejoindre l’entourage de l’archevêque. Le jeune homme se doutait peut-être qu’il se trouverait en concurrence avec des clercs mieux formés que lui qui avait dû interrompre ses études. Et puis, chez le riche marchand, personne ne lui contestait sa place et il savait pouvoir assez rapidement accumuler un joli pécule ; auprès de l’archevêque, tout était à recommencer. Mais Thomas était très ambitieux, il avait l’esprit sportif et ne craignait pas les défis. Il rencontra donc Thibaud de Canterbury dans son manoir de Harrow-on-Hill, dans le Middlesex. Guillaume Fils Étienne qui relate cette rencontre, note que le courant passa immédiatement entre les deux hommes. Une confiance mutuelle s’instaura entre ces deux individus que pourtant séparaient l’âge, les origines et la position sociale. Curieusement, c’est Thomas qui prit psychologiquement l’ascendant sur son aîné. Thibaud « tomba sous le charme » du jeune homme – et il en avait beaucoup, tout le monde s’accorde là-dessus –, en tout bien tout
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