Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
prudence précoce et, aux charmes de la jeunesse, il unissait la gravité de l’âge mûr. » Cet enfant « parfait » faisait la fierté de ses parents.
Convaincu que son fils a de grandes capacités, Gilbert Becket décide de lui faire donner un enseignement approfondi et le confie au collège de Merton, fondé une dizaine d’années plus tôt à trois lieues de Londres, dans le Surrey, et tenu par de rigoureux moines augustiniens. Là, Thomas apprend la lecture, l’écriture, le calcul et découvre la vie champêtre dans les bois environnants. Il est aussi initié très tôt à la chasse, et particulièrement la chasse au faucon – cela aura une importance non négligeable dans la relation qui s’instaurera entre lui et Henri –, et au maniement des armes par un ami de son père, Richer de l’Aigle, qui possède des biens importants dans le Sussex et sur le continent, en Normandie, dont la forêt de L’Aigle. Ce riche seigneur s’est pris d’amitié pour l’adolescent et le reçoit fréquemment pendant les longues périodes de vacances que laissent les études au collège. La fauconnerie est un sport apparu quelques dizaines d’année auparavant en Occident. La noblesse s’en était immédiatement emparée et en avait fait une de ses distractions favorites. Certains considéraient même cette chasse comme un art. Il faut dire que sa pratique en était complexe et nécessitait de l’adresse, de l’obstination et du temps. Thomas y excella très vite. Personne ne s’étonna de voir un jeune bourgeois londonien se lancer dans cet « art ». Les bourgeois de la capitale pratiquaient couramment la vénerie car ils possédaient des privilèges de chasse dans plusieurs comtés autour de la ville.
L’adolescence fut une période très heureuse de la vie de Thomas Becket. Il la racontera à son confident Roger de Pontigny qui nous en fera une relation pleine de galops à travers champs et forêts, d’insouciance de jeune homme, de risque aussi, comme la fois où Thomas traverse un pont qui s’effondre sous lui, le précipitant dans une rivière déchaînée. Sous les cris des compagnons, le jeune homme dérive vers un moulin dont la roue n’allait pas manquer de le briser en mille morceaux lorsque le meunier, sans rien connaître de la tragédie qui se joue, ferme soudain les vannes, sauvant in extremis le futur archevêque. On ne manquera pas, plus tard, de voir dans cet épisode la main de Dieu !
On s’aperçoit assez vite que l’adolescent est très intelligent… trop intelligent pour l’enseignement somme toute limité du collège de Merton. En Angleterre aucun collège, pas même Oxford, n’a grande réputation. Son père décide de l’envoyer poursuivre ses études à Paris qui à cette époque est la ville phare de l’Occident en matière d’enseignement et d’études libérales ; la « nouvelle Athènes », disait-on. Malgré l’aisance financière dont la famille jouissait, envoyer le jeune homme sur le continent, pour plusieurs années, représentait une dépense importante. Gilbert Becket n’a pourtant pas hésité, c’est dire les espoirs qu’il plaçait en son fils.
Paris bruissait de l’effervescence de la jeunesse. Le « Quartier Latin » battait son plein, attirant des étudiants de toute l’Europe. Progressivement, les vignobles plantés sur la Montagne Sainte-Geneviève avaient disparu, remplacés par des écoles et des maisons où les étudiants se logeaient comme ils pouvaient. La redécouverte, quelques dizaines d’années plus tôt, de la pensée d’Aristote avait donné un souffle extraordinaire à la théologie et notamment à Paris. La ville avait connu au début du siècle de très grands maîtres comme Guillaume de Champeaux et, plus près de l’arrivée de Thomas, Pierre Abélard avait marqué la vie intellectuelle de sa personnalité hors du commun. Les grands maîtres étaient devenus des sortes de vedettes et on se battait presque pour les écouter. Des « disputes théologiques » se déroulaient un peu partout. Il semblait que l’esprit et l’intelligence étaient descendus dans les rues du Quartier Latin. Jean de Salisbury était à Paris quelques mois avant l’arrivée de Thomas ; il fut un élève d’Abélard. Bien des années après, il en avait gardé un souvenir enthousiaste : « Quand j’y ai vu l’abondance de vivres, l’allégresse des gens, la considération dont jouissent les clercs, la majesté et la gloire de
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