Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
peut vivre sans lui, trouve le moyen de le rejoindre, du Jourdain à la Tamise, avec les deux seuls mots chrétiens qu’elle sait : Londres et Gilbert. Elle se convertit et met au monde Thomas. L’enfant, protégé par un riche baron, devient habile dans les exercices du corps et de l’esprit, est ordonné diacre dans l’église de Canterbury et se fait remarquer du fils de Mathilde, qui le prend en vive affection. Précepteur du fils aîné du roi, puis chancelier, il brille au premier rang et déploie un faste et un goût par lesquels il éclipse les plus magnifiques seigneurs… » C’est ainsi que l’historien Victor Duruy dépeint Thomas Becket dans son Histoire du Moyen Âge {23} .
Bien évidemment, la légende sur les origines de Thomas est fausse. On mesure par ce type d’extrait l’évolution de l’étude de l’histoire depuis la fin du XIXe siècle mais aussi la force des légendes qui se créent autour de personnages de la dimension de Becket. Un homme aussi exceptionnel ne semblait pas pouvoir être issu d’une origine modeste ou alors il fallait que s’y rattache un événement qui soit de l’ordre du merveilleux. Cela montre assez l’attirance que l’Orient exerçait sur les mentalités de l’époque. La canonisation de Thomas, quelques années à peine après son assassinat, allait engendrer toute une littérature plus ou moins imaginaire, du moins chargée de symboles, autour de sa vie. Ainsi, par exemple, raconte-t-on que sa mère, alors quelle était enceinte de lui, fit le rêve qu’elle portait dans son ventre la cathédrale de Canterbury ! Ce genre d’anecdote est tout à fait dans l’esprit médiéval, époque où l’on cherche des signes divins un peu partout et où la présence du religieux accompagne chaque instant de la vie. De nombreux chroniqueurs ayant connu Thomas ont raconté sa vie. Un des plus célèbres et des plus proches est Jean de Salisbury, mais on peut également citer Guillaume Fils Stephen, Herbert de Bosham ou Roger de Pontigny. De sorte que, malgré l’habillage de merveilleux dont je viens de donner un aperçu, la vie de Thomas Becket nous est connue d’une manière relativement précise {24} .
Le futur chancelier est né à Londres, dans la maison que ses parents habitaient dans le quartier de Cheapside, le 21 décembre 1118. Son père s’appelait Gilbert et sa mère Mathilde. On le baptisa immédiatement en lui donnant le nom du saint du jour. Le petit Thomas naît dans une famille de bourgeois très aisés, voire même riches. Son père est originaire de Rouen. Il s’est installé à Londres au début du siècle, attiré par l’intense activité commerciale qui se développait dans la ville et aussi pour fuir une Normandie en proie aux querelles de succession qui avaient suivi la mort de Guillaume le Conquérant. Gilbert Becket avait le sens du négoce, il fit fortune tout en acquérant une réputation d’honnêteté et de probité. Cette réputation lui permit de se faire élire sheriff de la ville de Londres – une des particularités de la capitale puisque dans le reste du pays les sheriffs étaient nommés par le roi –, position importante, sans grands pouvoirs, sauf celui de « surveiller » le roi lorsqu’il exerçait son droit de priorité sur les marchandises débarquées dans le port. Selon toute probabilité, Gilbert Becket faisait partie des bourgeois que l’Emperesse Mathilde avait voulu pressurer d’impôts, contre qui elle s’était emportée et qui l’avaient contrainte à s’enfuir de la ville.
Élevé par sa mère dans le culte des saints et particulièrement celui de la Sainte Vierge, Thomas reçoit une éducation complète et intelligente. Fils de riches, on lui enseigne le sens de la pauvreté et du don ; cela en fit un homme généreux mais qui savait ne pas dilapider l’argent gagné et avait des goûts très simples pour lui-même. En revanche il savait user de la munificence comme mode de communication politique, étalant des richesses à profusion et dépensant sans compter quand il s’agissait de montrer la puissance du roi d’Angleterre dont il était le premier serviteur. Si l’on en croit le portrait que Guillaume de Canterbury fait de Thomas pendant ses premières années, l’enfant ne manquait ni d’intelligence ni de charme : « Sa conversation était pleine de candeur et d’agrément, sa taille élancée, son aspect gracieux. Les bons exemples le trouvaient docile. Il montrait une
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