Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
honneur, et en fit un proche collaborateur. Cela n’alla pas sans susciter quelques jalousies dans l’entourage de l’archevêque et en particulier de la part de Roger de Pont-l’Évêque, un esprit très brillant manquant malheureusement de la générosité naturelle et du charme de Thomas. Plus retors que son rival, Roger fera preuve d’un tel acharnement contre Thomas que l’atmosphère de la cour archiépiscopale en sera gravement perturbée. À deux reprises Thomas sera proprement fichu à la porte par l’archevêque et ne devra sa réintégration qu’à l’intervention du propre frère de Thibaud, Gautier, archidiacre de Canterbury. L’archevêque, aussi fin politique soit-il, était par un curieux paradoxe un esprit influençable. Finalement, c’est Thomas qui aura le dernier mot, mais Roger de Pont-l’Évêque resta un ennemi acharné tout au long de sa vie.
Thomas entre à la cour de l’archevêque probablement dans les premières années de la décennie 1140-1150. Auprès de Thibaud, le fils de bourgeois londonien apprendra beaucoup. Il sera de toutes les négociations que l’archevêque devra mener. En particulier, il se rend à Rome, en compagnie de Jean de Salisbury, pour plaider la cause de l’archevêque dans l’action qu’il mène à propos de la succession de l’archevêché d’York et la légation papale en Angleterre. Le légat du pape dans l’île étant le cardinal de Winchester, frère du roi Étienne, cela fait peser lourdement la balance dans le camp de la famille de Blois. Le pape étant un arbitre dans la succession, son représentant est à la fois juge et partie… situation pour le moins délicate. Le siège de l’archevêché d’York étant vacant, le légat y fait élire un membre de sa famille : c’est faire entrer York dans le camp des Blésois et augmenter le déséquilibre. Thibaud de Canterbury porte l’affaire à Rome et Thomas participe à la délégation. Dans la Ville éternelle, Thomas rencontrera le pape Célestin II, disciple d’Abélard. Le jeune homme saura se montrer convaincant puisqu’il obtiendra que la légation soit retirée au cardinal de Winchester, et que le pape prenne position sur le problème de la succession anglaise. Le souverain pontife fera savoir à l’archevêque de Canterbury qu’il « devait considérer la couronne d’Angleterre comme un héritage contesté et que, par suite, on ne pouvait, jusqu’à plus ample informé, légitimement disposer en faveur de l’un des deux prétendants à l’exclusion de l’autre ». C’était signifier clairement à l’archevêque qu’il pouvait se poser en arbitre. Rétrospectivement, on peut considérer que c’était un pas de plus fait pour rapprocher la maison d’Anjou de la couronne d’Angleterre, et ce pas Thomas en a été l’un des principaux artisans. Le séjour à Rome est important pour notre histoire car non seulement le jeune homme y fait preuve d’un grand sens de la diplomatie – j’imagine assez facilement que les méandres de la curie romaine n’étaient pas si différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui et qu’il fallait déjà beaucoup d’habileté pour parvenir à ses fins dans ce contexte – mais également parce qu’il s’y fait remarquer. « Thomas de Londres », comme on l’appelle alors, se fait des « relations » qui seront utiles plus tard pour Henri et pour lui-même.
À la cour archiépiscopale de Canterbury, Thomas est en prise directe avec un des problèmes les plus fondamentaux de l’époque, à la fois pour l’Angleterre et pour l’ensemble de la chrétienté : comment s’articulent les relations de pouvoir entre la papauté d’une part, le roi pour une autre part et l’Église du pays pour une troisième ? Cette « trinité » s’affronte sur un point essentiel : celui de savoir qui détient la prépondérance en matière de pouvoir temporel, autrement dit, qui nomme les évêques. Car les prélats – évêques et abbés – régnaient pour la plupart sur de vastes territoires sur lesquels ils disposaient d’un pouvoir temporel au même titre que n’importe quel seigneur. Certains évêques étaient par exemple de remarquables hommes de guerre sachant conduire une armée et gagner des batailles.
Ce que l’on appelle la « querelle des Investitures » avait empoisonné tout le XIe siècle. Jusque-là, on avait trouvé normal que les rois et l’empereur germanique nomment les prélats. Cela leur
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