Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
permettait d’avoir des hommes laïcs à leur dévotion à la tête de vastes territoires ; l’aspect « spirituel » de la fonction passait au second plan. Par extension, ces prélats étant pour certains destinés à devenir des cardinaux, cela donnait aux divers pouvoirs royaux d’Europe, et tout particulièrement à l’empereur d’Allemagne, la possibilité d’influer sur l’élection du pape. L’idée de faire la distinction entre les deux pouvoirs – temporel et spirituel – était apparue au début du XIe siècle et avait conduit à un affrontement armé entre la papauté et le Saint-Empire ; un des épisodes les plus connus est celui de Canossa, en janvier 1077, où l’empereur d’Allemagne Henri IV dut se présenter trois jours de suite, en tenue de pénitent, devant le pape. La querelle des Investitures avait été suspendue en 1122 lors du concile de Worms où l’on avait trouvé une solution intermédiaire, inspirée du modèle français qui partageait les deux investitures. L’élection était entièrement placée entre les mains de l’Église : cardinaux pour le pape, chanoines pour l’évêque et moines pour l’abbé. Le fond du problème restait malgré tout le lien de vassalité que revendiquait la couronne vis-à-vis d’un évêque ou d’un abbé. Le problème n’était pas véritablement réglé mais simplement mis entre parenthèses et la querelle des Investitures pouvait se rallumer à tout moment.
L’Angleterre était un pays très sensible sur ce point en raison de la faiblesse du pouvoir du roi Étienne et de l’indépendance qu’avait prise l’Église d’Angleterre. La question de cette indépendance de l’Église vis-à-vis du pouvoir royal sera la cause de l’opposition entre Henri II et Thomas Becket. Rappelons que Thomas a été formé en grande partie à la cour de Thibaud de Canterbury pendant la période de la guerre civile. Dès ses premières années à la cour archiépiscopale de Canterbury, Thomas s’est montré un parfait serviteur de son archevêque, de l’Église et de la papauté. Fondamentalement le jeune homme est un « commis » qui sert fidèlement son maître, que ce soient Thibaud de Canterbury, Henri Plantagenêt ou plus tard l’Église d’Angleterre. Cette qualité essentielle, Thibaud l’a sans aucun doute discernée chez Thomas Becket et c’est la raison pour laquelle il a « poussé » le jeune homme.
Thomas avait dû interrompre ses études à Paris. Il en conservera toujours un certain complexe notamment parce que son latin n’était pas du niveau habituel d’un homme occupant les fonctions auxquelles il sera appelé ; tous ses biographes s’accordent pour dire que celui d’Henri II était bien meilleur, ce qui montre une nouvelle fois l’excellence de l’éducation que le prince avait reçue. En matière juridique et de droit canon, Thomas a également des lacunes. Pour y remédier, Thibaud de Canterbury l’envoie à Bologne où se trouve l’université la plus réputée en matière de droit canon. C’est un point important car le futur archevêque y rencontrera là un professeur du nom de Gratien qui restera dans l’histoire du droit canon comme celui qui le premier a compulsé et réuni en une somme colossale l’ensemble des canons promulgués par les Pères de l’Église. Son but avoué était de démontrer de manière absolue et définitive la suprématie de Rome dans le domaine temporel, séculier, autant que dans le domaine spirituel, régulier. Autrement dit, pour Gratien, le roi, lors de son couronnement, est investi par le pape et les évêques d’une dimension divine qu’il conserve tant qu’il respecte les règles du droit canonique. C’est cela que Thomas apprend à Bologne et qui restera le socle de sa conception des rapports entre le roi et l’Église. Cette conception est résumée par Bernard de Clairvaux dans une lettre écrite au pape Eugène III : « Tu es le pontife suprême, le prince des évêques, le successeur des Apôtres. Tu as la primauté d’Abel, le gouvernement de Noé, la dignité d’Aaron, l’autorité de Moïse, la prérogative judiciaire de Samuel, le pouvoir de Pierre, l’onction du Christ. » Les rois n’ont qu’à bien se tenir !
Thomas est à Bologne durant l’année 1151. De retour en Angleterre, sa position auprès de l’archevêque se trouve renforcée par son séjour italien. Il a trente-quatre ans. Il a participé à de nombreuses
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