Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
est-elle le signe des aspirations profondes de la population à sortir au plus vite de la période chaotique de la royauté blésoise. Le pays se réveille d’un cauchemar, c’est du moins l’impression qu’en donne Guillaume Fils Étienne : « Dans toute l’Angleterre, c’était comme un nouveau printemps […]. Le roi réussissait dans toutes ses entreprises. Le royaume s’enrichissait comme par magie : les collines étaient cultivées, les vallées se couvraient de blé, les troupeaux abondaient au bercail et dans les pâturages. » Enfin l’Angleterre va pouvoir redevenir ce pays à la terre généreuse où il faisait si bon vivre, comme le décrivait Geoffroy de Monmouth : « Sa richesse inépuisable subvient à tous les besoins de l’homme. Et de fait, elle est riche en minéraux de toutes espèces. De vastes champs la recouvrent, des coteaux également, très propices à une culture intensive. […] On trouve également en Angleterre des forêts où abondent toutes sortes de gibier et où l’herbe des clairières nourrit les animaux tandis que des fleurs de toutes couleurs offrent leur nectar aux abeilles tourbillonnantes. Il y a également au pied des hautes montagnes des prairies verdoyantes, endroits charmants où des sources limpides s’écoulent en un doux murmure dans des ruisseaux d’argent et assurent un doux repos à qui vient s’allonger sur leurs rives. Cette terre est irriguée par des lacs et des rivières poissonneuses, et hormis le bras de mer qui, au sud du pays, permet de naviguer vers la France, on trouve trois grands fleuves… Et c’est par ces voies d’eau que des marchandises d’outre mer en provenance de tous les pays peuvent être acheminées. » On trouve cette description idyllique dans l’ Historia Regum Britanniae dont les historiens s’accordent à estimer la rédaction vers 1136, soit quelques mois après la mort d’Henri Beauclerc et au moment où commence la guerre civile. L’auteur a figé une image de l’Angleterre qui va disparaître pour de longues années et c’est cette Angleterre-là, inscrite dans leurs mémoires, que les Anglais attendent de voir revenir sous le règne d’Henri et Aliénor.
9 Thomas Becket
On peut être étonné qu’il n’existe aucune biographie en France consacrée à Henri II Plantagenêt. L’homme a mauvaise presse, il fut pourtant un personnage essentiel de l’histoire médiévale, une remarquable intelligence politique et un homme très en avance sur son temps, ce qui devrait séduire les historiens contemporains. Quant à Aliénor, si depuis la magistrale biographie de Régine Pernoud elle connaît une certaine fortune livresque, elle reste dans l’imaginaire de beaucoup l’incarnation de Mélusine, une sorte de sorcière folle de son corps et gouvernée par ses affects. Aliénor, la femme par qui le scandale arrive, et Henri, le despote égocentrique et mégalomaniaque… Il suffit pourtant de regarder les hommes qui les entourent pour s’interroger sur le bien-fondé de leur réputation dans l’histoire.
Nous avons vu l’entourage d’Aliénor et la manière dont Henri avait su s’attacher des barons qui avaient servi la couronne du temps de son prédécesseur et ennemi. Nous verrons plus loin apparaître un personnage remarquable dont l’histoire a conservé la trace : Guillaume le Maréchal. De tous les membres de l’entourage du couple royal, le plus célèbre, le plus emblématique et aussi celui dont la destinée sera la plus tragique est Thomas Becket. Une des particularités de Thomas est la place « affective » qu’il va occuper dans la vie d’Henri, et par conséquent dans celle de la reine.
La rencontre entre Henri et Thomas s’est très probablement faite à Bermondsey en décembre 1154. Thomas est alors archidiacre de Canterbury. Il a une dizaine d’années de plus qu’Henri. C’est un homme remarqué dans les hautes sphères de l’Église anglaise et du pouvoir royal. Il est ce que l’on pourrait appeler un pur produit de la cléricature, repéré très jeune et que l’Église s’est chargée d’éduquer. Autrement dit, il y a de l’« énarque » chez cet homme brillant, séduisant et redoutablement efficace.
« Tout est romanesque dans l’histoire de Thomas Becket. Gilbert Becket, bourgeois de Londres, va en Terre sainte au commencement du siècle ; il y devient esclave d’un musulman, dont la fille le délivre par amour. Il revient, et la jeune fille, qui ne
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