Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
– : « Le roi l’a manifestement appelé “traître”. Pris de sa fureur habituelle, il a jeté le bonnet de sa tête et il a dénoué sa ceinture, puis il a lancé au loin son manteau et ses habits ; il a arraché d’un coup de main le dais de soie du lit et s’asseyant presque sur du fumier, il a commencé à mâcher la paille dont le sol était jonché. » Chez Henri tout se ramène à l’exercice du pouvoir. Il est capable de duplicité et de calcul, de dissimulation aussi ; c’est un homme secret mais qui se laisse emporter par son tempérament colérique.
Thomas à l’inverse est d’un naturel calme, pondéré, apaisant. Il essaie de résoudre les problèmes par la discussion et la diplomatie, tout en sachant faire preuve de détermination et de fermeté. Il a vite compris la personnalité du roi et sait ne pas l’affronter directement. Si Henri sur un coup de tête prend une décision que Thomas estime injuste, il attend patiemment que le roi se calme – cette attente peut varier de quelques heures à plusieurs semaines – puis revient à la charge et tente de le persuader de revenir sur sa décision. Le plus souvent il y parvient car Henri fait grand cas des avis et des conseils de son chancelier. Pourtant, et c’est fondamental, Henri restera toujours le maître. Il est totalement imprégné de son rôle et de sa fonction ; il incarne la couronne vis-à-vis d’Aliénor et de sa mère, et vis-à-vis de Thomas aussi. Le chancelier saura ne jamais franchir cette limite d’« essence » entre le roi et lui. Le fait qu’il soit fils de bourgeois et non d’une grande famille aristocratique a sans doute permis que cette distance là soit toujours maintenue comme allant de soi. Et il n’a très probablement jamais traversé l’esprit de Thomas qu’il pouvait en être autrement. Pour lui, la légitimité du pouvoir du Plantagenêt est évidente alors que, par rapport à d’autres familles régnantes comme les Capétiens ou même les souverains écossais, il pouvait faire figure de « parvenu ». Un membre de la haute aristocratie anglaise installé dans les fonctions de chancelier n’aurait peut-être pas résisté à la tentation de quelques insinuations sur le sujet. Thomas, lui, était fils de marchand ! Là réside sans doute une des clefs de la complicité que les deux hommes auront dans l’exercice du pouvoir sur l’Angleterre – car Thomas n’interviendra pas sur les affaires du continent et encore moins sur celles relevant des possessions d’Aliénor. Il faut insister sur le fait que l’origine sociale de Thomas a certainement joué un rôle dans les liens entre les deux hommes. Toute sa vie, Henri sera l’objet de « réflexions » plus ou moins ironiques sur ses origines, aristocratiques certes, mais non royales. Une anecdote, parmi d’autres, racontée par Guillaume Fils Étienne, est tout à fait révélatrice. Elle met en scène Herbert de Bosham, l’un des proches conseillers et biographes de Thomas Becket. Nous sommes au château ducal d’Angers, en 1166, en plein affrontement entre Thomas et le roi. Venu négocier pour Thomas, Bosham se montre assez arrogant, ce qui a le don d’énerver Henri II. Guillaume Fils Étienne rapporte le dialogue suivant : « Le roi dit : “Quelle impudence ! Quelle chose si indigne que ce fils de prêtre perturbe mon royaume et trouble sa paix !” Herbert riposta : “Pas du tout. Je ne suis pas fils de prêtre, car je n’ai pas été conçu dans le sacerdoce, puisque mon père a été ordonné après, mais toi non plus, tu n’es pas fils de roi, puisque ton père n’est pas roi.” » Et Bosham n’est qu’un clerc !… On peut imaginer les reparties que pouvaient s’autoriser de grands féodaux.
Le même Guillaume Fils Étienne dresse un portrait de Thomas Becket au physique comme au moral qui nous donne une idée précise de l’homme qu’Henri rencontre en décembre 1154. « La physionomie de Thomas était douce et agréable, sa taille élevée. Il avait le nez assez grand et légèrement busqué. Ensemble heureux où se mêlaient délicatesse et énergie. Son langage était élégant, son intelligence pénétrante, son esprit noble et élevé. Sévère pour lui-même, s’appliquant avec constance à faire des progrès dans la vertu, il était indulgent pour tous et plein de compassion pour les pauvres et les opprimés, tandis qu’il résistait aux orgueilleux. Dévoué dans ses affections, il
Weitere Kostenlose Bücher