Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
vingt années précédentes, qu’elle va avoir une partie délicate à jouer avec le Plantagenêt. Sur le choix de cet homme, Thibaud de Canterbury a son mot à dire. Selon toute probabilité, il a lui-même occupé cette fonction du temps du roi Étienne pendant quelques années. Il songe probablement à Thomas depuis longtemps. Le jeune homme a toutes les qualités requises. Il a grandi dans le sein de l’Église et il s’est toujours montré d’une fidélité absolue envers elle. C’est l’homme idéal qui, auprès du roi, saura protéger ses intérêts. Dans l’esprit de Thibaud, les choses sont claires : il place au poste de chancelier un homme à lui qui devra continuer de servir l’Église. Thibaud ne décide pas seul du candidat à présenter à Henri. L’affaire est d’importance. Il prend la précaution de recueillir l’avis de plusieurs prélats et notamment, avec beaucoup d’habileté, de prélats de l’entourage d’Henri. Thibaud va même jusqu’à obtenir l’aval du cardinal de Winchester, Henri de Blois, le frère de feu le roi Étienne. Personne ne peut dire si Thomas était informé des intentions des prélats ; du moins s’il avait connaissance des raisons véritables pour lesquelles il était placé à ce poste. Ce que l’on peut avancer, c’est que Thibaud et quatre autres évêques ont considéré que la personnalité de l’archidiacre, son expérience et surtout la formation qui lui avait été donnée étaient des garanties suffisantes pour suggérer au roi sa « candidature ».
Henri de son côté devait être rassuré sur les intentions de Thomas vis-à-vis des Plantagenêt. Nous avons vu qu’à Rome son action avait été importante – sinon déterminante, mais là-dessus nous ne disposons que des témoignages de ses hagiographes – auprès du pape Célestin II. Il ne faisait pas de doute que Thomas était un partisan de Mathilde et de son fils ; il offrait également de ce côté-là toutes les garanties. Et on peut supposer que, s’il ne l’avait pas encore réellement rencontré, s’il ne s’était pas entretenu en tête à tête avec lui, Henri s’était renseigné sur l’archidiacre, sur ses talents d’administrateur et de négociateur, et que les renseignements étaient bons. Outre le fait qu’il n’avait pas de concurrent, Thomas Becket semblait le candidat idéal pour Henri autant que pour l’Église. L’unanimité s’est donc faite sur sa personne pour le poste de chancelier et il ne semble pas qu’il y ait eu de longues tractations. La chose s’est réalisée rapidement et, dès le début de l’année 1155, Thomas est en poste.
Observons maintenant le « couple » d’amis que vont former, pendant presque dix ans, Henri et Thomas. Tous les historiens le confirment, dès la rencontre à Bermondsey en décembre 1154, il s’est passé entre eux quelque chose de l’ordre du coup de foudre amical, et ils vont entretenir ensuite des liens que certains n’hésiteront pas à considérer comme anormalement serrés compte tenu des fonctions respectives des deux hommes. Car il s’agissait malgré tout de gouverner l’Angleterre. C’est une responsabilité qui nécessite d’observer une distance affective. Ni l’un ni l’autre ne sauront la conserver et cela explique en partie la violence, par la suite, de leur affrontement. À partir de ce que l’on sait de la personnalité de chacun, on peut se dire que l’élan premier venait sûrement d’Henri. C’est un jeune homme bouillonnant, impulsif, mais ce n’est pas quelqu’un de versatile en matière de sentiments. Thomas est un homme beaucoup plus posé que le roi. Il est anglais après tout, et on peut le créditer d’une bonne dose du célèbre flegme britannique. Les tempéraments des deux hommes sont totalement à l’opposé. C’est peut-être une des raisons de l’amitié profonde qui va les unir. Ils se complètent. Henri ne tient pas en place, mange quand il en a le temps, à la messe ne saisit, de son propre aveu, qu’un Pater au vol ; il est sujet à des colères d’une grande violence – on dit que, tout comme ses ancêtres, il connaît des accès de bile noire – qu’il ne maîtrise pas mais qu’il va apprendre à utiliser, à mettre en scène pour impressionner son auditoire. Un auteur anonyme rapporte une colère du roi contre un courtisan qui lui avait parlé favorablement du roi d’Écosse avec qui il était en froid à ce moment – nous sommes en 1166
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