Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
orné d’une splendide émeraude en signe d’investiture de droit de gouverner l’Irlande… » Jean est un défenseur de la primauté de l’Église sur le gouvernement temporel. Il écrit Metalogicus des années après l’événement et surtout après la mort de Thomas et son propre exil. Il appuie sur la primauté de l’Église, ce qui va dans le sens de ses idées, mais il faut apporter un éclairage un peu différent sur son récit. En l’occurrence l’« appartenance » des îles à l’Église de Rome est toute théorique. Il est bien évident que jamais Henri, ni aucun souverain de l’époque, n’accepterait d’avoir vis-à-vis de Rome des liens de vassalité comme il en existe entre les seigneurs temporels. Le roi d’Angleterre était tout à fait libre de conquérir et de gouverner l’Irlande comme il le souhaitait ; et de fait Henri n’entreprendra cette conquête qu’en 1171, quinze ans après le consentement du pape. Il n’est d’ailleurs pas complètement satisfait du résultat de la négociation menée par Jean de Salisbury et ce mécontentement se traduira par la disgrâce du clerc qu’il interdit de séjour en Angleterre. Le roi tient à son indépendance vis-à-vis du pape et les termes de l’accord tels que les relate Salisbury mettent en avant la seigneurie du pape sur l’Irlande, cadre juridique que le souverain pouvait difficilement accepter. Henri se prive d’un homme remarquable, qui de plus sera l’inspirateur, le maître à penser, de Thomas Becket dans son opposition au roi d’Angleterre quelques années plus tard.
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En janvier 1156, Henri II Plantagenêt traverse la Manche et débarque en Normandie. Il a laissé l’Angleterre sous la garde de son chancelier et de la reine. Des historiens se sont étonnés de voir Aliénor rester sur l’île alors qu’elle n’avait pas mis les pieds en Aquitaine depuis près de deux ans. On a voulu y voir une manifestation d’autorité d’Henri cherchant à couper un peu plus sa femme de ses vassaux et asseoir son propre pouvoir sur le continent. On peut aussi regarder la chose sous un autre angle. Thomas Becket n’est chancelier que depuis un an et cette année, il l’a passée aux côtés d’Henri et n’a pas à proprement parler suppléé le roi ; il était en période d’essai en quelque sorte. Avant de lui laisser complètement l’Angleterre, et puisque le roi est obligé de quitter l’île, il y laisse sa femme quelques mois de plus notamment afin quelle « surveille » le chancelier. Il est raisonnable de penser que le Plantagenêt avait, du moins au début, plus confiance en sa femme qu’en son chancelier. Henri est un homme de pouvoir, impulsif quelquefois, mais qui n’agit jamais à la légère. Il n’a aucune raison à ce moment-là de « sanctionner » Aliénor et de l’éloigner à dessein de ses vassaux. Elle le rejoindra d’ailleurs en Aquitaine au cours de la seconde moitié de l’année 1156.
Ce qui me semble plus probable, c’est que, d’une part ils ont considéré que le rétablissement du pouvoir royal est encore trop récent et mal assuré et qu’il vaut mieux que la reine reste présente dans l’île pour incarner ce pouvoir, et d’autre part que la première étape du retour d’Henri sur le continent est une rencontre avec Louis VII, qui aurait peut-être trouvé de mauvais goût de revoir son ex-femme à cette occasion. Aliénor a sans doute souhaité elle-même ne pas assister à la rencontre. Qu’elle reste en Angleterre arrangeait tout le monde. Rien ne nous dit qu’il n’était pas dans les plans du couple de se retrouver plus tôt dans l’année et que, si la reine se rend sur le continent qu’après l’été, c’est qu’elle est enceinte.
Henri arrive à Rouen le 2 février 1156. Le 9 il rencontre Louis sur la frontière entre la Normandie et l’Île-de-France, quelque part entre Gisors et Neufmarché. Nous ne disposons pas du détail des entretiens entre les deux souverains. On peut néanmoins reconstituer les thèmes en fonction des positions de chacun et des résultats qui nous sont connus.
Des deux côtés, la donne a changé depuis leur précédente rencontre en 1154. Henri est maintenant roi et Louis a compris qu’il ne pourrait pas s’imposer par la force. Au cours des deux années écoulées, le Capétien a commencé à développer une politique qui le conduit à se poser en arbitre et en recours auprès de tous ses vassaux et non plus seulement,
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