Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
est un riche seigneur grâce aux prébendes dont il dispose, il n’a pas la puissance qu’avait en son temps l’abbé de Saint-Denis, Suger, homme d’Église révéré, ami de saint Bernard et des papes. Il n’a pas non plus l’expérience du vieux moine. Et Henri n’est pas Louis ! Bref, si Aliénor a pu légitimement s’inquiéter de voir une situation qu’elle avait déjà subie se reproduire, elle a pu également réfléchir que les choses ne se présentaient pas de la même manière et qu’il n’était donc pas utile de s’alarmer. Que le roi et le chancelier partagent leur passion de la chasse, qu’ils s’épuisent comme des gamins en courses folles à la poursuite de gibiers… au fond peu importe ! Elle leur abandonne volontiers ces moments de détente. Ce qu’elle partage avec Henri, c’est la passion du pouvoir. Celle-là est la plus forte et elle a très vite compris que Thomas Becket ne rivaliserait pas avec elle sur ce point. L’homme n’est qu’un exécutant.
Sur les rapports ayant directement existé entre Aliénor et Thomas, nous ne savons rien. Ni en bien ni en mal. Nous en sommes réduits à quelques conjectures. Remarquons simplement qu’aucun chroniqueur de l’époque n’a cru devoir signaler une opposition quelconque entre le chancelier et la reine. Comme cela avait été le cas à propos de Suger et de la jeune Aliénor, j’en déduirais a contrario que les rapports entre Thomas et Aliénor ne devaient probablement pas être mauvais, sinon d’une neutralité prudente. Peut-être Henri avait-il lui-même défini les règles et partagé les rôles… ce qui serait assez bien dans son caractère.
11 Royale rencontre
Décembre 1155. Pour la deuxième année consécutive, Henri et Aliénor passent les fêtes de Noël à Bermondsey. La restauration du palais de Westminster n’est peut-être pas totalement achevée, à moins que la reine, qui a passé une partie de l’année à Londres, ait pris ses habitudes dans ce prieuré sur la rive droite de la Tamise qui l’a accueillie à son arrivée. Peut-on parler de repos après une année bien remplie ? Pourquoi pas ! Tant il est vrai que l’on imagine aisément Henri ayant besoin d’un peu de calme après une année passée à parcourir le pays dans tous les sens, guerroyant à droite à gauche, ici faisant détruire un « château adultérin », là arbitrant un différend entre deux barons ou entre une seigneurie ecclésiastique et un seigneur « laïc », car les conflits de juridiction sont une des principales causes de différend dans toute l’Europe de cette époque. L’Angleterre n’y fait pas exception, d’autant plus que le gouvernement faible du roi Étienne a favorisé les indépendances à tous les niveaux. J’imaginerais assez Aliénor appréciant d’avoir son mari avec elle après cette année qui n’a pas été une période de tout repos. Elle a mis un enfant au monde et, tout au long de l’année, a suppléé Henri dans l’administration du royaume pendant ses multiples chevauchées, redonné un peu de lustre à la pompe royale et, dans un temps où le signe et le symbole revêtent une très grande importance, ce genre de tâche est délicat et fait partie d’un « mode de gouvernement ».
S’interroger sur leur légitime envie de repos, c’est une nouvelle fois poser sur la vie d’il y a huit cents ans une question d’aujourd’hui. La tentation est grande, à regarder les choses d’aussi loin avec l’envie de comprendre ces êtres exceptionnels qui ont marqué notre histoire. C’est aussi une manière de nous rapprocher d’eux… L’époque est si différente de la nôtre ; les mentalités sont-elles obligatoirement aussi différentes ? Sans doute, même si la gamme des sentiments sur laquelle se jouent les vies et les actions est invariable : amour, haine, jalousie, envie, goût du pouvoir et de la domination, rapports à l’argent… C’est le contexte social dans lequel ces sentiments s’expriment qui est différent et que, j’en suis malheureusement convaincu, nous ne pouvons pas comprendre aujourd’hui. Ne nous attardons pas sur l’image d’un couple réuni pour passer ensemble des fêtes de fin d’année, savourant au coin du feu ou entre amis – la cour après tout ! – quelques jours de tranquillité après une rude année. Nous savons en plus que le tempérament d’Henri ne le prédispose pas à l’oisiveté.
Ces fêtes de fin d’année sont
Weitere Kostenlose Bücher