Amy, ma fille
bon père de famille
Alors je n'aurais pas pu reproduire
Toutes les conneries que ma mère déteste
Mon destin freudien me colle à la peau. »
Ça ne m’a pas mis en colère, ça m’a plutôt fait réfléchir : peut-être que mon divorce avec Janis avait eu plus d’effet sur Amy que je ne l’avais cru, même si elle ne l’avait pas montré à l’époque. Je n’avais plus besoin de lui demander ce qu’elle ressentait, maintenant qu’elle s’était mise à nu dans cette chanson. Toutes les fois où Amy griffonnait dans son cahier, elle racontait ce genre d’histoires. Les paroles étaient pertinentes et, franchement, elles atteignaient leur but. Amy possédait un grand sens de l’observation. Elle emmagasinait les expériences et pouvait les ressortir à n’importe quel moment pour en faire une chanson. Par exemple, quand elle a écrit l’intro de « Take the Box » :
« Your neighbours were screaming
I don't have a key for downstairs
So I punched all the buzzers. »
« Tes voisins hurlaient
J'ai pas la clé de l'immeuble
Alors j'ai appuyé sur toutes les sonnettes. »
Ça se réfère à un épisode survenu quand elle était petite. On voulait entrer dans l’immeuble où vivait ma mère, mais j’avais oublié la clé. Au premier étage, des voisins se disputaient tellement fort qu’on les entendait depuis la rue. Ma mère ne répondait pas à l’interphone (il s’est avéré qu’elle était absente) alors j’ai appuyé sur toutes les sonnettes en espérant que quelqu’un nous ouvre.
Bien sûr, la chanson n’avait rien à voir avec moi. Elle relatait sa rupture avec Chris. C’était incroyable, sa faculté à transformer un épisode insignifiant de son enfance en quelque chose de génial. Si ça se trouve, elle l’avait raconté dans son journal à l’époque et, huit ou dix ans plus tard, l’avait retrouvé. Elle savait parfaitement mêler des événements qui n’avaient aucun lien entre eux.
Les chansons qui composaient l’album étaient bonnes, personne ne pouvait le nier. Toutefois, alors que ses droits d’auteur étaient détenus par EMI, elle n’avait toujours pas signé sur un label. En 2003, le disque étant presque achevé, une quantité de labels se sont proposés pour la produire. Parmi tous les candidats, Nick Godwyn pensait qu’Island/Universal était celui qui lui correspondait le mieux, parce qu’ils avaient la réputation de prendre soin de leurs artistes sans les forcer à produire des albums à la chaîne. Darcus Beese, découvreur de talents chez Island/Universal, était très enthousiaste à l’idée d’avoir Amy et quand il en a parlé au PDG d’Island, Nick Gatfield, il a immédiatement voulu la signer. Ils avaient entendu des morceaux, ils savaient où ils allaient et étaient prêts à faire d’elle une star.
Une fois le contrat signé avec Island/Universal, j’ai soudain pris conscience de ce qui se passait. J’étais assis en face d’Amy et je la regardais sans arriver à croire que cette fille, qui n’avait jamais manqué une occasion de chanter en public depuis l’âge de deux ans, allait sortir son album.
— Amy, tu vas vraiment faire un disque, lui ai-je dit. C’est génial.
Pour une fois, elle avait l’air sincèrement excitée par tout ça.
— Je sais, papa, c’est super, non ? Ne dis rien à mamie, je veux lui faire la surprise.
Je lui ai promis de tenir ma langue, mais la nouvelle était trop énorme : dès qu’Amy a eu le dos tourné, j’ai appelé ma mère.
Rétrospectivement, je m’aperçois qu’à mes yeux, son talent allait de soi. Je me suis dit : « Hé bien, on dirait qu’elle va gagner un peu d’argent avec tout ça. »
La maison de disques a donné à Amy une avance de deux cent cinquante mille livres pour Frank , ce qui nous semblait beaucoup. Mais, à l’époque, certains artistes touchaient une avance d’un million avant de se faire lâcher par leur label sans même avoir sorti de disque. Donc, si cette somme nous paraissait extravagante, en réalité, ce n’était pas grand-chose. Elle avait aussi touché une avance de deux cent cinquante mille livres d’EMI en signant son contrat d’édition musicale. Il fallait qu’elle fasse durer cet argent jusqu’à ce que ses royalties remboursent les sommes. Or cela ne me paraissait pas possible dans un avenir proche : combien de disques allait-elle devoir vendre pour rembourser cinq cent mille livres ? Beaucoup, me semblait-il. Je
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