Amy, ma fille
s’est une nouvelle fois manifestée. Nick Godwyn, Nick Shymansky, Amy et moi-même nous sommes réunis pour en discuter dans sa cuisine, le plafond du salon s’étant effondré la veille à cause d’une fuite… Autant dire qu’elle ne menait pas un train de vie de star !
— Alors, comment tu veux qu’on divise les crédits pour « Stronger Than Me » ? a demandé Nick Shymansky.
— Disons… vingt pour cent pour… a commencé Amy.
Nick lui a demandé pourquoi elle voulait donner vingt pour cent à quelqu’un qui avait passé une heure en studio et suggéré qu’on change un mot sur une chanson. Certes, c’était important de reconnaître le travail accompli par chacun et de veiller à ce qu’ils soient rémunérés en conséquence, mais Amy distribuait des pourcentages au premier venu. Elle était peut-être bonne en maths, mais je parie que sur certains morceaux, elle aurait été capable de répartir plus de 100% de crédits.
*
Le 6 octobre 2003, trois semaines avant la sortie de Frank , « Stronger Than Me », le single principal de l’album, est sorti, n’atteignant malheureusement que la soixante et onzième place en Grande-Bretagne. C’est le single d’Amy qui s’est le plus mal classé de toute sa carrière. Quand le disque est sorti le 20 octobre 2003, il s’est bien vendu, atteignant en janvier 2004 la treizième place des classements anglais. La critique l’a salué et les ventes sont reparties à la hausse courant 2004 quand le disque a été sélectionné pour le Mercury Music Prize et qu’Amy a été nommée pour les BRIT Awards dans les catégories « Meilleure artiste féminine solo » et « Meilleure prestation britannique contemporaine ».
J’ai lu toutes les critiques et je ne me souviens pas d’en avoir vu une seule négative, bien que le mélange hip-hop/jazz en ait déconcerté plus d’un. Le Guardian a commenté : « On dirait de l’afro-américain, c’est du juif anglais. Attitude sexy, mais n’assume pas. Elle est jeune, mais sa voix est mature. Elle chante de façon sophistiquée, elle parle comme une charretière. La musique est mélodieuse, les paroles sont méchantes. »
À mes yeux, Frank , qui demeure mon album préféré, est une réussite. J’aime cet album parce qu’il parle des amours de jeunesse, de l’innocence, qu’il est drôle et que les paroles sont bien senties. Ce n’est pas un disque né des profondeurs du désespoir. Et aujourd’hui encore, je l’écoute souvent, avec plaisir. J’étais tellement fier de ma petite fille.
Malheureusement, Amy n’entendait pas les choses de cette oreille. Elle était mitigée au sujet des arrangements et reprochait à la maison de disques d’avoir incorporé des mix qu’elle n’aimait pas. C’était en partie sa faute ; elle avait manqué une partie des réunions, comme d’habitude.
Nous étions chez elle, à Jeffrey’s Place, dans sa cuisine en train de boire le thé, la fenêtre ouverte. Des ouvriers qui travaillaient à l’extérieur ont allumé la radio et l’une des chansons de Frank a retenti.
— Ferme la fenêtre, papa, je n’ai pas envie d’entendre ça, a dit Amy.
Comme j’avais une question qui me brûlait les lèvres depuis quelque temps, j’ai décidé de la lui poser :
— Est-ce que tu pensais à quelqu’un en particulier quand tu as écrit « Fuck Me Pumps » ?
Elle a secoué la tête.
— Il y a une phrase… Attends, comment c’est déjà… laisse-moi jeter un œil au CD, où est-ce qu’il est ?
— Je ne sais même pas si j’en ai un.
— Quoi ? Tu n’as pas d’exemplaire de ton propre CD ?
— Non, j’y pense plus. Tout ça, ça parlait de Chris et c’est de l’histoire ancienne. C’est fini. Je suis passée à autre chose maintenant.
Je ne connaissais pas cette facette d’Amy, cette capacité à tourner le dos à quelque chose de si personnel, comme si cela n’avait plus d’importance. Néanmoins, elle a continué de faire la promo de Frank et, plus tard cette année-là, s’est produite dans quelques lieux prestigieux : le Festival de Glastonbury, le V Festival et le Festival international de jazz de Montréal. Elle faisait toujours passer sa musique et sa famille au premier plan, mais comme toutes les filles de son âge, elle s’intéressait aussi à d’autres choses : les fringues, les garçons, les sorties entre amis, son image et son style. Après tout, elle n’avait qu’une vingtaine
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