Amy, ma fille
Elle aurait pu y rester une semaine, mais deux mois ? Pas moyen. Elle aimait contrôler sa vie et n’aurait laissé personne d’autre le faire à sa place. Elle avait toujours été comme ça. Après tout, c’était elle qui avait postulé à l’école de Sylvia Young, décroché des concerts avec le National Youth Jazz Orchestra, ou encore trouvé un boulot à l’agence WENN. Elle avait eu un petit coup de pouce, certes, mais elle avait fait tout ça par elle-même, sans demander à personne de s’en charger à sa place.
Amy s’est dirigée vers la cuisine.
— Qui veut boire quelque chose ? a-t-elle lancé à la cantonade. Je fais un thé.
*
Frank s’est vendu à trois cent mille exemplaires en Grande-Bretagne dès sa sortie, devenant disque de platine en quelques semaines. À en juger par les chiffres de ventes, on aurait pu croire que la carrière d’Amy décollait, pourtant ce n’était pas le cas.
Fin 2004, elle n’avait plus beaucoup de projets et j’ai cru que tout cela allait s’éteindre aussi vite qu’un feu de paille, mais Amy n’était pas inquiète et continuait à profiter de la vie. Ceux qui l’entouraient ne semblaient pas se rendre compte que sa carrière stagnait et ils continuaient de la traiter comme une grande star. Quand tout le monde vous dit que vous êtes une star, vous finissez par y croire, sans doute.
Ma mère était la seule à pouvoir la faire redescendre sur terre. Elle ne s’en prenait pas souvent à Amy, mais quand elle le faisait, c’était sérieux. Un vendredi soir, alors que nous dînions chez elle, elle a ordonné à sa petite-fille :
— Viens là. Débarrasse les assiettes de ceux qui ont fini et amène-les dans la cuisine. C’est toi qui fais la vaisselle.
Amy n’était pas très contente. Une fois tout le monde parti, ma mère lui dit :
— Viens là, toi, je veux te dire quelque chose.
— Oh, non, mamie.
Amy savait ce qui l’attendait. Plus tôt dans la soirée, elle avait fait une remarque que ma mère jugeait déplacée.
— Ne dis plus jamais une chose pareille. Tu te prends pour qui ?
Ça a marché. Ma mère avait une bonne influence sur Amy et veillait à ce qu’elle garde la tête sur les épaules. Naturellement, Amy a été très peinée quand sa grand-mère est tombée malade en hiver 2004. C’est moi qui suis allé lui annoncer qu’elle souffrait d’un cancer du poumon. Quand Amy a ouvert la porte de chez elle, je lui ai annoncé la nouvelle et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre en sanglotant.
Alex est venu s’installer chez sa grand-mère à Barnet pendant deux mois, et Jane et moi avons ensuite pris le relais. Nous faisions en sorte qu’elle ne soit jamais seule parce que suite à une erreur d’ordonnance, elle avait absorbé une dose de médicament dix fois trop élevée. Cela l’avait plongée dans un état comateux et nous avions tous cru que le cancer avait atteint ses fonctions cérébrales. Quand les médecins ont compris puis rectifié cette erreur, elle a vite retrouvé toute sa tête.
Tout ce qu’on associe généralement au traitement d’un cancer du poumon ne s’appliquait pas au cas de ma mère. En dehors du fait qu’elle était essoufflée et avait besoin d’un masque à oxygène, elle ne souffrait pas. Pendant les trois derniers mois de sa vie, sa santé s’est même améliorée. En tout cas, elle se sentait mieux. Mais, un soir de mai 2006, je l’ai trouvée allongée par terre en rentrant du travail. Elle avait fait une chute. Elle ne semblait pas trop mal en point, mais j’ai quand même appelé les urgences pour ne prendre aucun risque. L’ambulance l’a conduite au Barnet General Hospital et, pendant qu’ils l’examinaient, elle m’a dit :
— C’est fini, j’en ai assez.
Je lui ai demandé ce qu’elle entendait par là.
— J’en ai assez.
Je lui ai dit de ne pas raconter n’importe quoi, qu’après une bonne nuit de sommeil elle se sentirait mieux et pourrait rentrer chez elle.
— J’en ai assez.
Et ces mots ont été les derniers qu’elle m’ait dits car cette nuit-là, elle a sombré dans le coma avant de mourir, un jour et demi plus tard.
Je me suis senti affreusement coupable parce que ma mère m’avait demandé de rester auprès d’elle et quand elle s’était endormie, j’étais rentré me reposer chez moi.
— Ne sois pas bête, papa, m’a dit Amy. Elle était dans le coma.
La mort de ma mère a énormément affecté mes
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