Amy, ma fille

d’années.
    Elle avait beau être déçue par Frank , il y avait des moments où elle se rendait compte que ce disque était spécial. Par exemple, quand le titre « Stronger Than Me », co-écrit avec Salaam Remi, a remporté le Ivor Novello Award pour la « Meilleure Chanson contemporaine, musique et texte ». Ce prix comptait à ses yeux car il était attribué par des gens de la profession, compositeurs ou paroliers. Elle s’est rendue à la cérémonie et m’a téléphoné pour me dire qu’elle avait gagné. J’étais en plein milieu de Fulham Road pour conduire un client jusqu’à Putney, quand j’ai décroché.
    — Papa ! Papa ! J’ai gagné un Ivor Novello !
    J’étais aux anges, mais je devais conduire mon client à destination et terminer ma tournée. Quand j’ai eu fini, il était tard et comme je n’avais personne à qui annoncer la nouvelle, j’ai tiré ma mère du sommeil.
    — Amy a remporté un Ivor Novello !
    Elle était aussi ravie que moi.
    L’une des choses qui nous a tous déçus, c’est que Frank ne soit pas distribué aux États-Unis dans un premier temps. Chez 19, ils jugeaient qu’Amy n’était pas prête pour ça. Si elle échouait là-bas, elle n’aurait pas droit à une deuxième chance, or ils estimaient qu’elle avait encore des progrès à faire sur scène.
    C’était frustrant, mais ils avaient sûrement raison. À cette époque-là, elle jouait encore de la guitare sur scène et 19 voulait confier cette partie à un musicien : l’instrument monopolisait son attention et l’empêchait de regarder le public. Parfois, elle donnait l’impression de jouer et chanter seulement pour elle. Sa voix était parfaite, mais elle ne proposait pas un réel spectacle. Elle avait besoin d’apprendre à s’offrir davantage au public. Il lui fallait encore un peu de travail avant d’aller aux États-Unis.
    Ils ont conseillé à Amy, afin de mieux communiquer avec son public, de lui montrer qu’elle passait un bon moment sur scène. Mais elle avait justement du mal avec ça. Elle aimait chanter et jouer de la musique pour sa famille ou ses amis, mais quand les concerts se sont multipliés et que la pression s’est accentuée, il est devenu évident qu’elle n’était pas une bête de scène. Vu sa confiance en elle, personne ne pouvait imaginer qu’intérieurement, elle redoutait la scène. Et au fil des concerts, cette peur n’a pas disparu ; avec le temps, elle a même empiré. Mais elle savait tellement bien la dissimuler que même moi je n’ai pas mesuré l’ampleur du problème. Régulièrement, pendant une chanson, elle osait tourner le dos au public, péché impardonnable. Quand j’assistais à ça, j’avais envie de lui crier : « Adresse-toi à ton public, ils t’adorent ! Dis-leur simplement bonjour, demande-leur comment ça va et s’ils s’amusent bien ! »
    Hélas, Amy n’a jamais vraiment réussi à gérer son trac. Même si elle ne se rendait pas complètement malade, comme certains artistes, elle avait parfois besoin d’un petit remontant avant un concert. Peut-être qu’elle fumait aussi un peu de cannabis, je n’en suis pas sûr, parce qu’elle n’aurait jamais fumé devant moi. En tout cas, ce que j’ignorais, c’est qu’elle buvait déjà beaucoup plus que de raison.
    Adolescente, elle avait eu des problèmes d’estime de soi. Quelle adolescente ne traverse pas ça ? Cependant, je ne pensais pas que cela soit le fondement de son trac parce qu’à ce moment-là, elle avait repris confiance en elle. Quoi qu’il en soit, 19 avait raison : elle n’était pas prête pour l’Amérique. Amy avait besoin d’améliorer sa prestation sur scène et cela prendrait du temps. Parler au public, lui montrer qu’elle passait du bon temps, tout ça est venu beaucoup plus tard et même à ce moment-là, ce n’était pas naturel pour elle. À mes yeux, elle avait toujours l’air de se forcer.
    Ce n’était pas facile de commenter son attitude sur scène. Je pouvais lui faire part de mes remarques, mais il fallait toujours être prudent car elle avait une volonté de fer et savait ce qu’elle voulait.
    Elle a enchaîné les concerts de promos et ses managers ont commencé à envisager un deuxième album. Elle avait quelques bonnes chansons qui ne figuraient pas sur Frank, dont une qui s’intitulait « Do Me Good ». Selon moi, ce morceau méritait de figurer sur le prochain album, mais elle n’était pas de mon avis. Elle