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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Julien Gracq
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panique — «désorientant», «bouleversant», «pétrifiant», «vertigineux», «déracinant» — d'absorption, de ravissement, d'appartenance, qui nous renvoie à la source même du sentiment religieux et qu'on ne peut se refuser plus longtemps — que cela plaise ou non — à qualifier de mystique.
    Plus que tout autre, le groupe surréaliste, irradié par Breton du début à la fin, encore qu'avec humilité celui-ci lui demande de s'effacer «devant les médiums qui, bien que sans doute en très petit nombre, existent» — tient à porter à son actif d'avoir « fait surgir une curieuse possibilité de la pensée, qui serait celle de sa mise en commun 3 ».  
    De l'idée de cette société close, que si exactement autour de lui Breton déjà conjure, à l'idée de société secrète, il n'y a qu'un pas. Ce pas, Breton le fait expressément dans le Second manifeste.  
     
    «L'approbation du public est à fuir par-dessus tout. Il faut absolument empêcher le public d'entrer si l'on veut éviter la confusion. J'ajoute qu'il faut le tenir exaspéré à la porte par un système de défis et de provocations.
    «Je demande l'occultation profonde, véritable, du surréalisme.
    «Je proclame, en cette matière, le droit à l'absolue sévérité. Pas de concessions au monde et pas de grâce. Le terrible marché en main.  
    «À bas ceux qui distribueraient le pain maudit aux oiseaux.» (Second manifeste.)  
     
    De nouveau il y a lieu, semble-t-il, de s'attarder sur cette déclaration de principe qu'on salue trop aisément, en passant, d'un sourire entendu. Si Breton s'est jamais montré mauvais prophète, c'est bien au sujet de cette «occultation» tapageuse à l'excès. Non seulement on n'a «pas empêché le public d'entrer» (et trop souvent, quel public! — le pire) mais il est permis de se demander si le système (la grosse caisse devant le temple d'Eleusis) qui consiste à «le tenir exaspéré à la porte par un système de défis et de provocations » était bien de nature à favoriser cette clandestinité de mauvais aloi. Le mot de Molé sur Chateaubriand revient en mémoire : «Une cellule sur un théâtre.»
    Il n'empêche que des procédés qui eussent conduit à la liquidation sans merci d'un réseau de résistance (par exemple) ne sauraient — lorsqu'on essaie comme nous le faisons ici, de saisir une forme en éveil qui cherche en tâtonnant à se préciser dans son devenir propre — être soumis au seul critère de leur efficacité concrète. C'est la logique interne qui pousse en avant ce mouvement en évolution perpétuelle (et que la rapidité exceptionnelle de cette évolution rend exemplaire) qui fait de cette déclaration de Breton une étape, qui va être aussitôt brûlée, mais qu'on ne doit pas moins retenir pour sa vertu significative. Si l'idée de société secrète flotte presque constamment dans l'atmosphère qui environne Breton et son groupe — aussi piteusement, il faut bien le dire, qu'une âme en peine d'une introuvable enveloppe terrestre — c'est qu'une raison profonde devait conduire le surréalisme à esquisser au moins le geste symbolique de se cacher.
    Il est un mot — mot clé, mot force — qui polarise négativement par rapport à l'attraction « luciférienne » tous les champs magnétiques sur lesquels flotte le drapeau de Breton : c'est le mot noir. Mot magique, coupé de toute attache réelle au concret, capable bar sa vertu essentiellement adjective des transferts les plus déconcertants, il ne s'en révèle pas moins chargé d'un dynamisme dialectique incomparable, capable à lui seul dans presque tous les cas de conditionner avec sûreté les réflexes, tout comme le mot magique de «gauche» peut suffire à conditionner, en dehors de toute référence au réel, les réflexes d'une assemblée. Il serait passionnant de chercher, à travers les transmutations les plus singulières, la racine mythique commune, la poussée de sève aveugle en puissance dans tous les surgissements, même les plus inattendus, de ce mot, sous lequel une force électrisante se dissimule qui agit avec la sûreté d'un tropisme. Roman noir — magie noire — «musée noir» — «lavoir noir» — diamant noir — «dieu noir» — sang noir — on pourrait presque dire que les surréalistes se reconnaissent comme à une pierre de touche au fait qu'à chaque fois chez eux l'épithète semble apporter moins le sceau inerte d'une nature physique ou morale que l'influx d'un

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