André Breton, quelques aspects de l’écrivain
n'est pas possible de s'intéresser même concrètement à l'écrivain sans essayer de voir ce qui amène de telles lignes de force sur leur prolongement à exaspérer sans cesse autour d'elles ce tourbillon compliqué et contradictoire de particules à quoi se réduit en dernière analyse ce qu'on appelle un «mouvement».
Rien qui semble plus naturel, avant d'étudier son objet, que de l'isoler. Rien pourtant qui soit ici plus formellement — et plus évidemment — à déconseiller. Breton semble avoir présenté cette particularité d'engendrer sur son passage une série continue d'attractions et de répulsions vives, de phénomènes de turbulence et même d'effervescence qui constituent un moyen dont on ne peut songer à se priver pour essayer de le lire. Bien loin d'ailleurs de se borner à modifier l'équilibre autour de lui, il révèle une aptitude particulière à réagir aux courants ambiants. Une membrane soumise à un haut degré de pression osmotique semble caractériser plus encore que limiter la cellule fermée de ce moi — un rythme anormalement accéléré d'échanges avec le monde social et matériel de l'extérieur nous avertit tout de suite qu'elle fait corps comme aucune autre avec un milieu qu'elle fomente et qui la recharge continuellement. Dans les circonstances les plus variées, autour de Breton, un groupe qui se révèle tout de suite orienté — bon conducteur de certaines manières de sentir et opaque à d'autres — tend inévitablement à se constituer à la suite d'un tri dont la nature exceptionnellement rapide et la sûreté excluent le tâtonnement du choix conscient et suggèrent comme d'elles-mêmes l'automatisme d'adhésion des particules aimantées.
Une polarisation aussi immédiate du milieu où se dépense (au sens où se «dépense» — on serait tenté de dire — une substance radioactive) son activité semble exclure jusqu'à nouvel ordre, à l'égard de Breton, une attitude critique impartiale. Comme l'a remarqué justement Jules Monnerot 1 , elle serait déjà par elle-même prise de position, elle ne pourrait signifier qu'un refus d'«entrer dans le jeu» et par là un obstacle initial opposé à la compréhension. Quiconque est resté totalement insensible aux effluves propagés ne pourrait guère parler que «du dehors» c'est-à-dire à côté de la question — et la nécessité se fait sentir ici, de manière aiguë, d'une critique de sympathie. Le «phénomène» Breton — bien avant d'être un objet d'analyse esthétique — se manifeste comme un réactif : les réactions de tous sens, et parfois vigoureuses, ne lui ont jamais été marchandées : leur continuité paraît bien désigner dans cette entrée en résonance le seul moyen d'obtenir un contact dont la nature est ici essentiellement vibratoire — et il y a tout à perdre, pour parler de lui, à gagner ces zones d'eaux lourdes, où toute onde agitante s'englue, et qui sont le terrain de chasse préféré d'une critique toujours malencontreusement portée à noyer d'abord le poisson. On se refusera tout à fait à situer à travers je ne sais quel vide isolant la constellation glacée d'un quelconque «Breton et son groupe littéraire», mais, sous peine d'asphyxie, il sera impossible de le dissocier de ce halo vibratile, irradiant et absorbant, traversé de souffles et d'antennes, que reconnaîtront d'abord avec le toucher subtil d'un aveugle ceux qui ont ressenti l'attaque de sa plume à fleur de peau : Breton est vivant, et plus apte que quiconque à nous faire passer de la notion d'entourage à celle de milieu.
Je ne me sens guère porté à faire confiance autrement que sous bénéfice d'inventaire au sérieux de l'apport philosophique de M. Paul Claudel, et cependant, malgré toutes les préventions qu'on peut entretenir à son endroit, je reste parfois sensible à un jaillissement brut, à un éclatement baroque de sève qui sent le terreau riche et le guéret mal défriché, et qui me conduirait, si j'en avais les moyens, à placer sur une étagère, côte à côte avec le Traité de la co-nausance au monde et de soi-même les œuvres les plus représentatives du douanier Rousseau et du facteur Cheval. A tout le moins lui doit-on une sérieuse reconnaissance pour avoir développé avec l'éclat qu'elle comporte la théorie d'un dédoublement formel du contenant de l'esprit humain. Purifiée des émanations de fumerolles théologiques irrespirables, il reste que l'idée d'un esprit,
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