André Breton, quelques aspects de l’écrivain
haut-le-corps : on se sent le besoin immédiat de réagir, et de protester que ce qui se veut, en dépit de l'auteur, un rappel assez précis de l'atmosphère évangélique, dépasse infiniment son objet — qu'il n'y va pas, et de très loin, de faits si graves, ni d'enjeux si bouleversants. Une disproportion semble éclater, qui pourrait aisément susciter le rire. Et cependant, la phrase dite, l'inadmissible court-circuit opéré, impossible de nier plus longtemps que c'est bien de la même chose qu'il est question, et que c'est dans des «échos magiques» de ce genre, si propres à approfondir autour de lui les perspectives (et il en est prodigue) que le «mouvement» surréaliste trouve la seule résonance qui lui réponde intimement. Toutes proportions gardées (on se lasse de répéter cet avertissement qu'exigerait chaque phrase), c'est bien à l'état naissant d'une religion avortée que la haute période du surréalisme fait écho avec l'insistance de ces grottes magiques dont il ne s'est pas par un pur hasard montré si friand. Jules Monnerot, analysant le contenu du surréalisme, a sans doute été le premier à oser ce pronostic capital que «le surréalisme prend place dans une constellation qui pourrait bien un jour apparaître préreligieuse ». Mais certaines démarches concrètes, qui s'ébauchent à l'intérieur du mouvement, ne paraissent pas moins significatives : c'est bien au fond à l'absence d'un contact initiatique que tient l'impossibilité, que Monnerot le premier lui aussi constate, de parler du surréalisme pour les gens «du dehors». «Du dehors» — «du dedans» : autre terme bizarrement avertisseur. Ce n'est pas à une adhésion raisonnée à quelque formule aussitôt desséchée que proférée que se reconnaissent les adeptes, mais à une rencontre qui se situe dans ce royaume de frôlements immatériels qui est celui de l'«âme», et qui beaucoup plus que l'accord intellectuel rappelle la fraction du pain, ce sont ces «minutes d'amitié inoubliables» c'est la sensation partagée de cette «aigrette de vent autour des tempes 3 » dont Breton lui-même, retrouvant le fil d'une métaphore déjà curieusement iconographique, déjà aimantée par le «nimbe», nous entretient au coin d'une page négligemment.
Breton ne semble pas lui-même avoir jamais pu se concevoir privé de disciples, avoir jamais tenté de ressaisir une personnalité par essence fuyante, saisissable surtout dans ce qu'elle féconde, autrement que par-delà une curieuse médiatisation, autrement que réfléchie dans ce jeu de glaces humain qu'il conjure et où «qui je suis» doit (lui) apparaître un jour gravé au diamant. Il semble que la démarche ultime de cette quête ne puisse enjamber le terme singulier d'une extrapolation où le milieu vivant qui l'entoure se verrait revêtu d'un rôle déterminant de triage et de fixation. Une phrase comme celle du début de Nadja : «Qui suis-je? si pour une fois je m'en remettais à un adage : en effet tout ne reviendrait-il pas à me demander qui je hante? » est faite, semble-t-il, pour mettre l'accent sur l'importance de ce transfert et de cette décantation. L'idée par elle-même poétique de «reflet dans un miroir» qui traverse comme un filigrane l'œuvre de Breton apparaît dans cette lumière comme beaucoup plus qu'un thème de plus ou moins d'agrément : sa force d'attaque lui vient de ce que la sous-tend une exigence vitale, de ce qu'elle se trouve concrétiser et vivifier à chaque instant ce narcissisme pluriel qui anime Breton, comme il a dû animer, semble-t-il, plus ou moins tous les chefs de «mouvements», tous les fondateurs de religion.
Voici plus curieux encore : le milieu vivant n'est plus même le seul propre à réfracter cette personnalité qui le dynamise et qu'elle est capable de déborder infiniment : nombre de morts élus sont appelés à leur tour, non à un témoignage, mais à ce commerce révélateur, et d'une manière que les familiers du groupe récuseraient sans doute difficilement. Ce n'est pas exactement le :
J'ai connu autrefois Firdousi dans Mysore
péremptoire de Hugo — et cependant Breton paraît avoir le secret d'imposer à chaque instant un certain angle d'incidence sous lequel la lumière des étoiles les plus lointaines ne semble plus pouvoir à ses intimes parvenir que décomposée et recomposée par lui. «C'est ainsi que je me trouve avec Huysmans, le Huysmans d'En rade et de Là-bas, des manières si
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