André Breton, quelques aspects de l’écrivain
vide de péremptoire sommation. Ce que le groupe surréaliste a été, pour le meilleur et pour le pire, se retrouve avec une force de présence et de conviction beaucoup plus grande que celle de quelque réunion de café ou de tel ou tel fait divers drôle ou lamentable, dans certaines pages de Breton où P«esprit» qui aiguillonnait le groupe désigne, à travers lui, avec la vigueur hallucinatoire d'une terre promise, « le lieu et la formule ».
Ce qui apparaît dans ces hallucinations impératives, c'est toujours la hantise d'un groupe organique, «aristocratie du miracle 2 » (le mot est de Monnerot) ordonné autour d'une «révélation générale» et par là ne se différenciant pas par essence de telle ou telle communauté d'«élus» à ses débuts. Toutefois (on saisit peut-être là une des raisons congénitales de l'arrêt hâtif de son développement) le groupe ne s'y présente jamais sous l'image d'une communauté ouverte, grosse d'une contagion illimitée : au contraire, c'est plutôt l'idée d'un ordre clos et séparé, d'un compagnonnage exclusif, d'un phalanstère que tendent à enclore on ne sait trop quelles murailles magiques (l'idée significative de «château» rôde aux alentours) qui paraît s'imposer dès le début à Breton. Beaucoup plus proche, par ses contours surtout exclusifs, de la Table ronde ou de la chevalerie en quête du Graal que de la communauté chrétienne initiale (par exemple) cette image motrice d'envergure revient à deux reprises, et sous des formes curieusement jumelles, dans le Premier manifeste ( 1925) et dans Le Revolver à cheveux blancs (1932).
«Pour aujourd'hui, je songe à un château dont la moitié n'est pas forcément en ruine; ce château m'appartient, je le vois dans un site agreste, non loin de paris... quelques-uns de mes amis y sont installés à demeure... etc., etc.
«...On me convaincra de mensonge poétique, chacun s'en ira répétant que j'habite rue Fontaine, et qu'il ne boira pas de cette eau. Parbleu!... Mais ce château dont je lui fais les honneurs, est-il sûr que ce soit une image ? Si ce palais existait, pourtant! Mes hôtes sont là pour en répondre : leur caprice est la route lumineuse qui y mène. C'est vraiment à notre fantaisie que nous vivons, quand nous y sommes. » (Premier manifeste.)
«À ce propos je voudrais louer (je ne dis pas même acheter) une propriété dans les environs de Paris. Rien de fabuleux. Seulement une trentaine de pièces avec, autant que possible, de longs corridors très sombres, ou que je me chargerais d'assombrir... Qu'il soit possible à qui que ce soit, des gens divers à qui j'aurais donné rendez-vous, d'y entrer et d'en sortir, de jour et de nuit, sans que cela provoque d'esclandre... etc., etc.
«...Il ne saurait s'agir, pour l'instant, d'entrer plus avant dans les secrets d'une telle communauté... Mais si tout à coup un homme entendait, même en pareil domaine, que quelque chose se passât... S'il était vraiment, lui, résolu à n'ouvrir la bouche que pour dire : "Il y aura une fois..."» (Le Revolver à cheveux blancs.)
Ces deux fragments saisissants seraient à citer en entier et on s'excuse d'y pratiquer par force des coupures. Elles ne laissent pas cependant d'en mettre à nu, semble-t-il, l'armature — ce mécanisme de «fuite en avant» qui comme nous le verrons meut sans cesse Breton et qui confère à travers sa plume une netteté et une force de surgissement analogues à celles du ressouvenir à tout ce qui, prenant appui comme sur un sol sur l'ensemble des forces de complicité occultes qu'il mobilise en nous, en est encore pourtant à exiger de se: manifester. Le rêve flotte autour de Breton avec persistance d'un lieu clos, privilégié, d'une communauté: d'âmes, vagabonde, réceptive d'effluves et docile au passage de «courants», baignée dans cet ozone qui gaine les décharges continues de la foudre, soumise à une accélération vertigineuse, lieu de continuelle naissance et de passage éternisé, écartelée vive entre «ce qui n'est déjà plus l'ombre et n'est pas encore la proie», où il se fondrait, et dont il souhaite que sa voix (mais est-ce encore la sienne!) soit à la fois une émanation, une anticipation et un souvenir. Les adjectifs se pressent ici (on les a reprochés à Breton, à d'autres — mais en est-il de neufs, si du moins on veut encore parler) pour exprimer avec la ferveur tâtonnante du balbutiement ce sentiment éperdu,
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