André Breton, quelques aspects de l’écrivain
comme si l'agression profanatrice, d'une manière significative, se trompait d'adresse. On en vient à se demander si la soif de sacrilège du surréalisme se nourrit bien de ce qu'il a devant lui, et non plutôt de ce qui vient derrière — si le surréalisme «noir» est autre chose que l' ombre portée sur le corps social en stagnation par l'approche d'une religion nouvelle encore insoupçonnée, dont on ne saurait évidemment rien dire, qui se profile en arrière de lui et dont ne pourrait manquer de prédominer un jour l'aspect positif.
En attendant la réalisation hypothétique d'une pareille vue de l'esprit, on ne peut se tenir de remarquer que le surréalisme, dans la mesure où il se présente comme un phénomène avant-coureur, a mis l'accent par la forme même qu'il a prise sur une des exigences majeures que devra satisfaire, à plus ou moins longue échéance, toute civilisation à venir qui se voudra vraiment rechargée d'un influx spirituel. Les religions universalistes ont dû autrefois leur succès au désir effréné de l'homme d'agrandir sa sphère à tout prix, de faire voler autour de lui les barrières. Cette ère semble définitivement close pour une société qui n'est aujourd'hui que trop matériellement distendue à l'échelle planétaire — où la «mesure de l'homme» se perd à tous les échelons dans un ensemble social trop grand pour nous. Le surréalisme (il n'est qu'un symptôme) a présidé sous une ébauche de forme religieuse à un phénomène de ségrégation sociale spontanée et de recomposition embryonnaire à échelle d'homme qui mérite de retenir l'attention — qui pourrait un jour foisonner au sein d'un corps social qui décourage par l'accablement de son immensité, de son uniformité, un «être humain» — toujours le même — qui n'a pas grandi. Ce groupe, très soucieux de son caractère clos, ou en tout cas limité, tendait à fournir à ses membres tout (sauf le pain) : une doctrine — une mystique — des rites sommaires — un lien d'«âme» qui ne s'étendait pas à un tel nombre d'initiés que la chaleur humaine dont nous avons tant soif ne pût s'y propager de bout en bout. Il eut ses morts, très vite, comme s'il fallait se hâter de compléter le tableau. Aux prises avec des réalités sociales qui ne se défendent encore que trop bien, il s'est volatilisé de manière exemplaire (les temps n'étaient pas mûrs), mais la fascination durable qui creuse après son passage comme un appel d'air nous avertit. A Breton demeurera le mérite insigne d'avoir, en lui donnant sa mesure, animé d'une présence irremplaçable, scellé de cette emprise mal définie qui présente quelques-uns des caractères de la possession, agrégé à une succession historique définie et triée, et confronté à un avenir qui l' absorbait déjà comme aucun autre un de ces groupes de pointe, toujours menacés, fatalement vaincus, qui sont comme la vie faite foret de diamant et comme les antennes vibratiles poussées vers l'avenir d'une époque qui dans son ensemble se contente toujours approximativement d'être — c'est-à-dire, selon Hegel, de mériter de périr.
«TOUT CE QUI DOIT FAIRE AIGRETTE AU BOUT DE MES DOIGTS»
Le phénomène du groupe constitué autour d'une personnalité dominante est bien loin d'être particulier au surréalisme. L'époque contemporaine en a connu d'autres : le groupe wagnérien, le groupe de la rue de Rome, serré autour de Mallarmé. À une époque plus proche de nous, la classe de philosophie d'Alain, au lycée Henri-IV, a certes constitué elle aussi beaucoup plus qu'un agrégat de rencontre formé au hasard des préoccupations de concours et des transferts de bourses scolaires. Une remarquable différence apparaît pourtant entre le groupe surréaliste et tous les autres. La prédominance, chez le maître, de la fonction enseignante, chez le disciple de la communion dans une ivresse purement intellectuelle, semble avoir marqué ceux-ci; à cet égard, on se persuade qu'il n'y avait pas de différence essentielle entre la classe d'Alain et le cours hebdomadaire de la rue de Rome : la plaisanterie connue des intimes de Mallarmé, et souvent citée («En quelle classe es-tu, rue de Rome?») paraît à lire les comptes rendus tous concordants des fidèles du temple avoir été beaucoup plus qu'une boutade. Une attitude plus ou moins passive d'enregistrement était clairement imposée à tous — sous la forme de questions timidement posées
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