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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Julien Gracq
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par les disciples pour aiguiller le discours, des rites scolaires tendaient à s'instituer chez Mallarmé, très voisins de ces «citations» quotidiennement inscrites au tableau noir qui servaient à Alain de thèmes sommaires pour préluder à ses fugues d'idées. Il ne s'agit jamais là dans les plus graves des cas que d'une source où l'on vient puiser un supplément de connaissance et de force : ce qu'y apprend le poète, c'est à mieux faire les vers — le causeur, des ressources inconnues de subtilité : rien ne s'y joue jamais sur le plan de la vie gagnée ou perdue, et ce n'est que dans le sens le plus limité que de tels maîtres peuvent être dits encourir une quelconque responsabilité 1 . Une pareille innocuité n'était certes pas le fait du Breton de l'époque héroïque : il n'est pas dans notre intention ici de glisser au récit anecdotique, et cependant les exemples connus et parfois tragiques qu'on pourrait citer tendent tous à montrer que ce n'était pas de raffinements intellectuels plus aiguisés ou d'une manière plus ou moins économique de se meubler l'esprit (une locution aussi grossière a de quoi poétiser jusqu'au «coquet petit intérieur» bourgeois) qu'étaient en quête les jeunes gens attirés par Breton, mais bien d'une manière radicale d'y faire place nette au bénéfice de «secrets pour changer la vie». Malgré le ton suffisant de suprême indépendance (on ne saurait trop le suspecter) qui est de règle dans les productions surréalistes, même pour les membres mineurs du groupe, on sent que beaucoup sont venus à Breton pressés par un instinct aveugle de «s'en remettre» à lui pour une part quant à la solution de problèmes parfois de première grandeur. Trop souvent une assurance si affichée, caractéristique du disciple, n'exprime que l'aise épanouie d'une individualité trop faible, qu'une personnalité plus vigoureuse tient constamment à flot et consent à prendre en charge. Breton a été pour certains, c'est clair, non un guide intellectuel qui fait lentement ses preuves, auquel on accorde après mûre délibération un certain pouvoir sur ses propres jugements, une dose plus ou moins grande de crédit, mais l'objet brusquement appréhendé d'une certaine forme de foi. (Les risques que comporte l'emploi d'un vocabulaire si insolite ne m'échappent pas : à vouloir élucider des rapports sur lesquels s'exerce de notre temps une censure si persistante, et qui sont ceux de l' emprise d'homme à homme, on risque une levée de boucliers, non indignée peut-être, mais au moins ironique, et dans le fond analogue à celle que suscita Freud en cherchant à forcer les portes de la sexualité. La pudeur a d'étranges avatars. Pas plus qu'en 1900 un homme ou une femme n'aurait consenti à avouer que son «cœur» et son sexe avaient quelque chose à voir l'un avec l'autre, un homme ne consentira en 1946 à avouer qu'il a foi — à quelque degré, et il en est de nombreux, que la chose comporte —, dans un autre homme actuellement vivant (dans un journal, c'est autre chose.) Il prodiguera les alibis rationnels avec la fertilité de dissimulation du rêve. Ceci dit, on peut essayer de passer outre.) Il n'est pas inutile, si l'on veut serrer de plus près une personnalité de laquelle il semble que tout échappe si l'on ne rend compte d'un bizarre phénomène de fascination, de rechercher ce qui aiguille vers Breton une adhésion si aveugle.  
    Une des découvertes de la physique moderne qui seraient les plus capables d'élucider par analogie les relations les moins exprimables d'un «moi» à l'autre paraît bien être celle des phénomènes d' induction. Il n'est pas question, certes, de chercher dans un rapprochement que tout spécialiste proclamerait hasardeux un principe d'explication scientifique (encore que la règle tacitement admise qui veut que ce qui ordonne le monde de la matière ne puisse supporter en aucun cas d'être transféré au monde psychique soit peut-être l'effet d'un préjugé peu démontrable). Il n'empêche que du fait qu'elle permet de sentir les choses et presque de les «toucher» comme aucune autre, qu'elle suscite avant tout retour offensif de l'intelligence cette « adhésion » caractéristique dont on a parlé, une telle image semble douée d'un pouvoir révélateur sur cette région de nous-mêmes où s'enracinent les attirances et les répugnances involontaires. Il semble que nous soyons en présence d'une pure image motrice, fort

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