André Breton, quelques aspects de l’écrivain
qu'on imagine axé sur le jeu statique des idées pures, et que viendrait doubler une âme {anima) déjà subtilement matérialisée par la métaphore du «souffle», que rien n'empêche d'imaginer docile déjà à quelque chose comme un contact sublimé — engrenée aux champs de force qui traversent, par l'intermédiaire de notre corps, le monde — en résonance avec ce je ne sais quoi d'aveugle encore qui à travers nous dans de certains moments privilégiés semble se chercher, réclamer pathétiquement son expression — même si elle doit rester une pure figure (mais y a-t-il de «pures» figures ?) — a quelque chose de puissamment et d'intensément révélateur, qui emporte une adhésion de cœur. Une telle figure dote brusquement de cohésion, pourvoit d'un noyau attractif vainement cherché jusque-là toute une région de l'être presque toujours mal différenciée, rongée constamment sur sa zone marginale d'une part par le jeu stérilisant de l'intelligence logicienne, d'autre part par le sentiment isolant de la constatation, et où pourtant s'enracinent les précieuses, les irremplaçables antennes de la sympathie. Nous sentons aveuglément que c'est par la médiation seule de cette « âme » que les bêtes et les plantes, malgré tout, d'une certaine manière continuent à nous parler, que des signes constamment nous avertissent qui se passeraient au mieux, si seulement nous y consentions, d'avoir à être interprétés — et qu'à cette zone délicatement tactile, à cette ceinture de cils vibratiles, se rattache obscurément le seul et fragile espoir qui nous reste de sortir un jour de notre réclusion individuelle à perpétuité, de communiquer sans le travestissement dérisoire du langage, de nous intégrer à autre chose, de pénétrer et de nous laisser traverser, baigner de ce flux panique, unifiant et réconciliateur, que notre approche désoriente et dont les caprices désinvoltes nous abandonnent à nos soubresauts angoissés de poisson sur le sable. À peine arrachée par l'acte de nommer à sa vie larvaire, cette notion se révèle brusquement foisonnante, et à un haut degré ordonnatrice. Toute une série de rapports que nous nous retenions à peine d'appeler vides — mais de ce vide qui est un impérieux et continuel appel d'air — reprennent dans son rayonnement couleur, poids et chaleur : c'est l'«occultisme» c'est le «magnétisme animal», ce sont les «affinités électives», aussi ininterprétables et aussi difficiles à exorciser que des fantômes, et dont on imagine que l'aiguillon, qui fait particulièrement sentir sa pointe à la fin du XVIII e siècle et dans les premières années du XIX e , a dû dans une certaine mesure galvaniser chez les philosophes allemands romantiques cette frénésie unificatrice, cette volonté acharnée à volatiliser les barrières de conscience à conscience et du monde spirituel à l'autre, qui fait d'une époque par ailleurs intensément révolutionnaire un de ces points d'irradiation exceptionnels dans l'histoire des idées où la plus haute spéculation philosophique, soudain en prise directe sur la sensibilité du corps social, s'y prolonge en décharges affectives assez continues et assez intenses pour qu'on puisse la dire vécue.
Il n'est pas sans enseignement de constater que notre époque, d'une manière sans doute infiniment plus tâtonnante, après plus d'un siècle de spéculation désincarnée recommence à se mettre en quête, dans un clair-obscur peu rassurant, de quelques-unes de ces clés libératrices que le siècle précédent semble avoir commencé à entrevoir. De façon déjà évidente, elle tend à mettre l'accent sur l'accord irremplaçable, privilégié, du message avec son porteur — et à l'origine de certains des «mouvements» de notre époque, on perçoit obscurément l'exigence que l'impulsion motrice ne réside plus dans la rigueur intellectuelle d'un assemblage d'idées abstraites, mais dans une parole proférée, une vibration qui fasse corps avec son véhicule. Nous avons tendance à croire, sans oser encore souvent nous le dire, à la possibilité de certains nœuds d'ondes qui communiqueraient d'étonnants pouvoirs de contrôle et de résonance aux êtres disposant du moyen de les capter, à des foyers humains étrangement favorisés — et que certaines personnalités d'exception, en dehors même de toute supériorité intellectuelle démontrable, peuvent d'une manière sans doute difficile à
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