Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Julien Gracq
Vom Netzwerk:
il ne devrait pas y avoir pour lui de différence essentielle entre penser et se mettre en marche : s'agit-il même des idées les moins apparemment destinées à «mener le monde », Breton n'hésite pas une seconde à répondre à l'injonction, à reconnaître par exemple : «On sait maintenant que la poésie doit mener quelque part» (Les pas perdus). Les idées sont si bien destinées à être vécues qu'elles s'incarnent : ainsi Breton se déclare-t-il prêt, dans la «Confession dédaigneuse» à «abandonner une idée par ami, un ami par idée ». On n'est même pas sûr qu'elles ne disposent pas pour lui de la force de matérialisation de quelque secours démoniaque. Il retrouve pour les apostropher l'énergie d'accent des pourfendeurs d'hérésie, toujours fort disposés à descendre d'un empyrée de fulminations abstraites et pour qui l'hérésie, essentiellement, siège — et dans les explosions de fureur sacrée du Second manifeste comme dans l'adjuration finale de L'Amour fou («qu'avant tout l'idée de famille rentre sous terre!») il traîne incontestablement pour nous quelque chose comme un relent d'exorcisme.  
    Une suite de siècles fascinés par l'intellectualisme le plus détaché qui fut jamais avait conspiré à nous faire oublier qu'une dégradation imminente menace d'atonie tout l'édifice mental s'il n'est porté à chaque instant à la crête de l'onde vitale la plus haute, si une vibration sensible en résonance avec notre rythme le plus secret ne le fait chanter tout entier. Le prestige singulier d'André Breton, cette «résonance» indiscutable très précisément qu'il a continûment trouvée, vient de ce qu'il a exprimé mieux que personne à notre époque — qu'il a été le pressentiment et la nostalgie de l' unisson. Inspiré par un dynamisme intense qui n'a jamais consenti à se connaître de barrières, impatient de «brûler» toutes les étapes, il a entendu, de nouveau — d'un monde à l'autre — du «cœur» à l'esprit — du rêve au réel — retendre le «fil conducteur». Plus qu'aucun de ses contemporains., il a contribué à remagnétiser le monde des idées.
     

«BATTANT COMME UNE PORTE»
     
    Une des particularités de la littérature contemporaine qui seraient les plus propres à nous rendre par contraste une idée flatteuse de l'état de critique est la prolifération envahissante des œuvres relevant dans une mesure plus ou moins grande du type «journal». Ce qui ne peut manquer de frapper dans ces élucubrations si naïvement complaisantes, de mille, de quinze cents — on nous en promet de dix mille pages — qui pleuvent sur nous maintenant par tranches, et qui tendent à nous fournir par leur apparition autorisée, à partir d'un certain niveau de notoriété l'équivalent du «bulletin de santé dans le journal » pour une nouvelle excellence ministérielle, c'est invariablement la grande humilité de l'auteur. Puisqu'il se sent incapable par lui-même de faire le tri, dans sa vie et dans ses pensées, de ce qui compte et de ce qui — en quantité sensiblement plus grande — ne peut d'aucune manière compter, on se trouve d'instinct porté à savoir gré, et même à faire toute confiance, à l'homme qui veut bien prendre sur lui la tâche peu enviable de dégager les quelques pépites à sauver du flot alluvial, et, se débattant avec la foncière platitude de ces matériaux boueux, d'essayer de nous restituer quelque chose qui tienne debout. La dignité de l'artiste, dans la mesure où elle existe, se voit ici automatiquement transférer au critique qui donne son temps à extraire de ces magmas invertébrés ordre et signification — et l'on se trouvera toujours bien de consulter, de préférence au fichier initial, tel article suffisamment sérieux, qui nous en fournit le petit compendium amplement suffisant — tout comme on préférera, malgré tout, la lecture d'un historien même secondaire au gri-gri dérisoire d'un catalogue d'archives : il a du moins, c'est sûr, enlevé de la poussière; au surplus il y va aussi de notre dignité personnelle. Le goût de cet exercice qu'est la tenue d'un journal relève d'abord du prélassement douillet le plus haïssable, son usage massif est enfin, c'est bien clair, l'équivalent d'un stupéfiant grave pour l'esprit : rien n'est plus divertissant que de voir tel ou tel nous conter ses angoisses devant ce je ne sais quoi qui se met à coller aux doigts à l'air à mesure qu'on presse le tube de vaseline.

Weitere Kostenlose Bücher