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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Julien Gracq
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complaisance mystérieuse qui s'éveille à la lecture de relations de voyage plusieurs fois centenaires, dont l'emphase détone autant que le but reste évasif — comme si soudain nous avions jeté les yeux — pour reprendre le titre inépuisablement évocateur de Poe — sur un «manuscrit trouvé dans une bouteille». C'est qu'en effet, du journal au coin du feu, chaussé de pantoufles et de besicles, au journal de bord, il y a toute l'épaisseur de l'aventure, comme tout le poids supplémentaire de la responsabilité.
    Un texte essentiel de Breton dans Nadja définit toute la singularité de cette aventure :
     
    «Je n'ai dessein de relater, en marge du récit qu'il me reste à entreprendre, que les épisodes les plus marquants de ma vie telle que je peux la concevoir en dehors de son plan organique, et dans la mesure même où elle est livrée aux hasards, au plus petit comme au plus grand, qu'elle se soustrait passagèrement à mon influence, m'introduit dans un monde presque défendu qui est celui des rapprochements soudains, des pétrifiantes coïncidences, des réflexes propres à chaque individu, des accords plaqués comme au piano, des éclairs qui feraient voir, mais voir, s'ils n'étaient encore plus rapides que les autres.»
     
    À la lumière de ce texte, la tentative de Breton s'éclaire parfaitement. Il s'agit — sous la forme stricte d'un procès-verbal qui ne laisse aucune place à la transposition romanesque, où l'on n'ait jamais besoin de «réclamer les noms» — d'une œuvre qui serait au journal ce qu'à la plaque sensible aveuglément impressionnée est un cliché plongé dans le «révélateur». Il s'agit d'appliquer au chaos brouillé des données mentales et des petits accidents de la vie qu'on mène, un procédé de lecture, une grille qui permette de lire le sens de la vie «en tant qu'elle échappe à notre influence», en tant non plus qu'on la mène, mais qu'inexplicablement elle apparaît menée d'ailleurs («Mon illusion lorsqu'il m'est arrivé quelque temps de me croire seul à la barre du navire») : en d'autres termes il s'agit de latentative insolite de superposer vive à l'enregistrement de la vie quotidienne l'écriture progressive d'un destin.
    De ce point de vue la forme saccadée, les ratures brusques, les longues élisions, le «trait qu'on jette en passant au bas d'une série de propositions dont il ne saurait s'agir de faire la somme» qui nous frappent dans ces espèces des relations de voyage apparaissent très significatifs. Au flux continu, morne, des pensées dévidées au fil des jours, Breton préfère, comme un navigateur qui note sa position sur sa carte, reporter une série discontinue de points critiques, toujours obtenus par intersection. Bien clairement pour nous, Nadja représente ainsi le plan de la vie courante coupée par la trajectoire de la révélation — comme dans Les Vases communicants par celle du rêve (un ouvrage de Breton s'intitule précisément Trajectoire du rêve), comme dans L Amour fou par celle de l'amour ou celle de la trouvaille. On pourrait même dire qu'à la limite Breton ne consent à prêter quelque consistance à sa personnalité, à tenter de la fixer par la plume, qu'en tant qu'au lieu d'une volonté autonome, jouet plus ou moins conscient de mobiles dérisoires, elle lui paraît ne se dessiner — comme ces vibrations immobiles, ces «nœuds», nés d'un train d'ondes réfléchies — que par un pur système d'interférences. Au milieu de ces vagues «ballots de nuit» où son existence quotidienne se traîne sans plus ni moins de cohérence qu'aucune autre, c'est toujours par rapport à un certain nombre de grandes constellations fixes — l'amour, le hasard, le rêve —, qu'il tente de noter sa position, qu'il a le sentiment de subir l'aimantation, de jouir, au milieu de la pure solitude, d'«invraisemblables complicités» — c'est toujours avec elles qu'il tente d'établir par on ne sait trop quelle correspondance de signaux croisés, un jeu de références continuelles. Bien loin de filer de ses sécrétions mentales un cocon douillet, d'étouffer en l'isolant dans cet air confiné l'impossible chrysalide de l'homme en soi, il ne souhaite plus être qu'empreinte en creux des hasards de la grande aventure — «homme foudroyé aux pieds du sphinx» — au lieu de l'homme abstrait, il ne cherche plus qu'à donner la seule image de l'homme aux prises, non avec un danger à sa faible taille («l'homme, quel qu'il

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