André Breton, quelques aspects de l’écrivain
montagne. Il ne fut jamais question de m'établir à demeure en ce point. Il eût d'ailleurs, à partir de là, cessé d'être sublime; et j'eusse moi, cessé d'être un homme.» L'Amour fou.)
...et peut-être sommes-nous de notre côté en mesure de comprendre de quoi se nourrit cette exigence dévorante. Dans un esprit qui vit le glissant mouvement dialectique comme peu d'autres, qui en a fait son moteur et sa substance, ce «point sublime» transpose poétiquement l'exigence de la résolution finale des contraires («l'ombre et la proie fondues en un éclair unique» dit-il d'une autre manière dans L Amour fou), la volonté ultime d'atteindre au repos unificateur. A l'exigence de la...
«...résolution future de ces deux états en apparence si contradictoires que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité»
qui constitue pour lui, très en avant de lui, le «point sublime» d'où embrasser le système freudien, répond en écho l'exigence symétrique vis-à-vis de l'univers «contradictoire» de Hegel :
«Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement. Or, c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point.» (Deuxième manifeste.)
La même exigence intime rendrait surabondamment compte de la nostalgie de la «cristallisation» : moment où l'activité mobile et sans repos du magnétisme atteint à son repos complet, de «l'éclair unique» où se fondrait dans un instant de miracle «ce qui n'est plus l'ombre et n'est pas encore la proie». «Point sublime», «cristallisation», «éclair unique» autant de balbutiements poétiques désespérés pour essayer de formuler l'informulable — donner paradoxalement une image statique non déformée de ce qui ne se dessine que dans le «mouvement vers » à jamais inachevé de son schème imaginatif. Freudisme et hégélianisme ont été absorbés par Breton, incorporés à sa substance par l'opération d'une affinité motrice, à la manière de grands symboles appelés de nature à concrétiser, à revêtir le schéma aveugle qui l'anime, et, sinon à lui proposer des solutions, du moins à lui maintenir ouverte la perspective indéfiniment approfondie où, mû par son démon interne, il entend prolonger sa fuite en avant à corps perdu « fixant un point brillant qu'il sait être dans son œil et qui lui épargne de se heurter aux ballots de nuit». En ce sens il est légitime de dire qu'un fil unique, un fil conducteur par excellence par l'intermédiaire du subconscient de Breton traverse le surréalisme, l'hégélianisme et le freudisme. Le surréel est la «projection en avant» par le désir inconscient et moteur, du point sublime où doivent se résoudre les contradictions formelles qui mettent en route le système hégélien (comme l'imagination de Breton) et que le freudisme dramatise en les incarnant, en mobilisant à leur commandement (lutte entre le conscient et l'inconscient, lutte entre Éros et l'instinct de mort) le tourbillon magnétique éperdu de notre chair et de notre sang, de nos pensées et de nos rêves.
Il nous est maintenant loisible de résoudre, au moins dans une certaine mesure, le problème que nous nous étions posé, de rendre compte du pouvoir attractif certain de Breton et de l'étrange faculté qu'il révèle de rester efficace même à distance — même par-delà ce «précipice d'inintérêt» qui sépare la parole écrite du verbe tout animé, tout armé encore de la force de percussion vive de la présence. Mû par une impulsion que nous avons cru identifier à un schème imaginatif moteur, Breton paraît sans cesse animé du besoin embrasser, sans craindre trop de les mal étreindre, d'englober dans un tourbillon dialectique haletant toutes les idées comme toutes les images. Hanté par le perpétuel surgissement du contradictoire, il a voulu sans cesse (et l'a voulu moins qu'il n'y a été poussé par une nécessité interne) jouer sur tous les tableaux à la fois. Fort éloigné de se dérober, en aucun domaine, à la prise critique, son activité mentale du moins frappe d'un bout à l'autre par son caractère dévorant. Monnerot l'a vu admirablement lorsqu'il souligne que : «les surréalistes (il
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