André Breton, quelques aspects de l’écrivain
révélation décisive à attendre d'un monde fermé, défendu contre les atteintes de la vie courante, par les conclusions freudiennes positives auxquelles l'a conduit son étude des rêves (Les Vases communicants sont de 1932) — il tend de plus en plus à considérer le message automatique comme message d'un au-delà formel de la conscience immédiate (le «subliminal» sur la signification duquel il s'interroge dans l'article «Le Message automatique») comme mettant au moins sur les traces de cette «faculté unique et originelle» d'où dériveraient également la perception et la représentation.
Mais si la main de l'expérimentateur a pu hésiter, donner prise à une confusion qui amène parfois à s'interroger sur ce que réellement elle manipule, l'artiste conscient a toujours chez Breton évité comme d'instinct de telles erreurs. Toute sa manière d'écrire, dans ses œuvres les plus surveillées, repose sur un acte de foi qui coïncide de fort près avec les postulats bergsoniens : acte de foi dans la supériorité de la pensée consciente déjà (on y insiste) mais en état perpétuel d'éveil et de naissance, sur la pensée caporalisée par les concepts et remise au pas des règlements logiques. Cette pensée qui d'une certaine manière communique avec les choses, cette pensée qui ne peut nous tromper, cette pensée forte «par définition», tout le problème pour Breton (alors que Bergson, par une sorte d'ascèse, ne se propose que d'en surprendre le pur murmure au milieu d'une sorte de silence ineffable, qui est celui de l'introspection) est d'en faire passer le courant d'eau vive dans l'écriture, qui d'expression élaborée devra tendre à se faire pure communication. Tous les problèmes de style que s'est posés Breton, toutes les solutions qu'il leur a données, ne prennent leur sens que dans cette seule perspective : le langage constituant par ses automatismes indurés, ses mécanismes invétérés le moyen de domestication le plus efficace dont dispose la logique sur la pensée non rationalisée, parce qu'il est l'unique moyen dont nous disposions pour la capter à sa source — parce qu'il est seul apte à la déformer dans l' œuf, comment est-il possible d'éviter que son intervention nécessaire transforme à chaque instant l'expression de la pensée vive en une épure logique sans vie et sans portée communicative - comment est-il possible de capter de façon intelligible, transmissible, la pensée concrète (au sens hégélien) avec son ton de voix — son timbre singulier, ses charges affectives instables, son épanchement de cataracte, son mélange intime de «mouvements divers»?
La résolution de ces problèmes pour Breton (il s'agit, c'est important, de quelqu'un qui parle presque aussi bien qu'il écrit) s'appuie sur la conviction à laquelle il adû arriver très tôt, que le mouvement réel de la pensée, son surgissement continuel, recèle une force motrice entraînante et immédiate qui se volatilise dès qu'on cherche à la canaliser dans les voies logiques. On s'explique mal les particularités si visibles de son style si l'on ne partage pas sa certitude que la pensée est quelque chose qui agit par un éveil de sympathie beaucoup plus que par l'appel à une contrainte logique — et qu'en tant qu'influx dont la valeur de choc est inséparable de son mouvement, la pensée est quelque chose qui demande à être mimé plutôt qu'exprimé. Le sentiment de présence extraordinaire que nous restitue une page de Breton tient à l'art d'un écrivain qu'a hanté plus que tout autre, consciemment ou inconsciemment, ce difficile problème : rendre à l'écriture la haute valeur mimétique, le très riche registre d'intonations et de gestes, le trésor d'inflexions, la force communicative électrisante du langage de «celui qui parle». L'évolution de son style nous retrace avant tout les phases de la conquête sur la typographie d'un ton de voix dont la force d'évocation le subjugue au point que de son meilleur ami, de celui dont l' esprit semble s'être transfusé en Breton d'une manière presque inquiétante, il a pu dire, précisément de façon significative : «Voici Jacques Vaché, le ton de voix.»
Contrairement à certains de ses premiers compagnons de route (Queneau, Aragon par exemple, qui témoignent d'ailleurs à leur manière à quel point ce problème du «ton de voix» était dans l'air), Breton ne s'est jamais arrêté à la solution la plus simple, comme
Weitere Kostenlose Bücher