André Breton, quelques aspects de l’écrivain
aussi la plus décevante, qui était l'adoption du style parlé.
La différence d'attitude qui sépare à ce point de vue dès le début Breton d'un écrivain comme Aragon (par exemple) marque sans aucun doute un degré inégal de sensibilité à l'optique particulière de la lecture. L'inconvénient le plus grave de la transposition directe dans la page écrite du ton de la conversation — et le plus souvent de la conversation à bâtons rompus — réside dans l'effort d' accommodation- excessif sur l'interlocuteur isolé que la conversation exige et que l'écriture souligne — en même temps qu'elle la dépayse — avec une brutalité crue. Bien loin d'apprécier qu'on le sollicite si singulièrement d'entrer dans on ne sait quel aparté avec l'auteur, bien loin d'être flatté de jouir apparemment de son intime connivence, le sentiment qui se fait jour chez le lecteur est le même, de gêne grave et d'inconvenance, que celui d'un spectateur de théâtre que sollicite et désoriente soudain l'œillade d'une chanteuse : un sentiment de déchéance accompagne inévitablement cette restitution dérisoire à une existence autonome — et il est remarquable que dans ses meilleurs effets le style parlé ne reste tolérable que par la convention admise d'un jeu plus ou moins perceptiblement parodique. Le sentiment implicite, au sein même de la solitude, de la «communion des lecteurs» constitue le fondement du rudimentaire, mais essentiel cérémonial de la lecture, et ne tolère pas sans une répugnance intime que l'«Ami lecteur...» des préfaces puisse signifier jamais pour l'auteur autre chose qu'une pure formule de politesse. Un sens instinctif de la hauteur et du recul à prendre, rare à l'époque, faisait d'ailleurs de Breton et de tout le surréalisme — en dépit des apparences — une protestation vivante contre le débraillé en littérature. Au surplus il eut conscience, dès le début, de garder à sa disposition des moyens plus subtils.
«Le langage de la révélation se parle certains mots très haut, d'autres très bas», déclare-t-il dans le Second manifeste. Il n'est pas interdit de prendre une telle déclaration au pied de la lettre. La souplesse et la valeur communicative du langage écrit chez Breton lui viennent de ce qu'il joue constamment sur plusieurs registres, et cette différence d'intonation si sensible chez lui d'un mot à l'autre, outre qu'elle dispose pour se mettre en valeur d'une exceptionnelle fluidité de syntaxe, se matérialise par le recours systématique au mot en italiques, qui déclenche à l'intérieur même du langage tout un jeu complexe de claviers.
Le rôle du mot souligné fut essentiellement à l'origine de signaler de façon mécanique dans la phrase la présence d'un élément hétérogène par rapport au langage couramment usité. Il s'agissait le plus ordinairement de l'introduction soit d'un terme technique — emprunté par conséquent à un vocabulaire en marge du langage courant — soit d'un mot courant pris dans une acception rigoureusement particulière et déjà définie (le cas se présente fréquemment dans les ouvrages de philosophie) à laquelle renvoyait de façon expresse cette espèce de mise en quarantaine par rapport au commun des mots qu'était en réalité l'italique. On doit en retenir que l'acte de souligner constituait alors une espèce de pis-aller et de toute façon comportait la nuance péjorative de quelque chose comme une mise à l'index. Il visait formellement à signaler dans le langage l'introduction à force d'un corps étranger que son fonctionnement normal tendait par nature à expulser. Son emploi se fondait sur ce postulat qu'admet tout langage à usage logique : à savoir que les mots en tant que tels sont équivalents, que l'ensemble du vocabulaire admet une règle d'homogénéité, d'unité formelle de valeur, parce qu'il est avant tout instrument de communication de l'intelligence, pour laquelle il n'est pas de mots privilégiés en soi, de mots fétiches — mais seulement des combinaisons logiques où ceux-ci n'entrent qu'en la qualité égalitaire d'éléments — pour laquelle tout mot qui s'extrapole par nature d'une totalité possible de combinaisons soulève une suspicion et une gêne.
Le langage de Breton porte au contraire, en ce qui concerne l'emploi de l'italique, les traces d'une inversion fondamentale de signe. Il le situe à ce point de vue comme le représentant actuel d'une longue lignée
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