André Breton, quelques aspects de l’écrivain
supérieure à celle de la parole, et qu'elle ne défie pas forcément la langue, ni même la plume qui court.
«...Je crois de plus en plus à l'infaillibilité de ma pensée par rapport à moi-même, et c'est trop juste. Toutefois, dans cette écriture de la pensée où l'on est à la merci de la première distraction extérieure, il peut se produire des "bouillons". On serait sans excuses de chercher à les dissimuler. Par définition, la pensée est forte, et incapable de se prendre en faute 3 . »
De cette constatation — une des plus importantes pour l'intelligence de la pensée de Breton — découlent deux sortes de traitement de l'écriture — très divergents chez lui par leur apparence extérieure, mais en fait inspirés de préoccupations identiques : d'une part l'écriture automatique proprement dite (celle du Poisson soluble, de L'Immaculée Conception), d'autre part les exposés concertés que représentent les Manifestes, Point du jour, Les Vases communicants.
La certitude où se trouvait Breton, à l'époque des Champs magnétiques et même du Premier manifeste, d'atteindre par la pratique de l'écriture automatique à la délivrance du «message subliminal», au dévoilement du «fonctionnement réel de la pensée» en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, semble bien par la suite (on se réfère en particulier à l'article sur le «Message automatique» recueilli dans Point du jour), en dépit d'affirmations tranchantes qui sont là pour couvrir une retraite, avoir fait place de plus en plus souvent à l'aveu d'un découragement résigné. L'accent d'une cuisante déception, à la mesure même des espoirs entrevus («L'histoire de l'écriture automatique dans le surréalisme serait, je ne crains pas de le dire, celle d'une infortune continue.»), perce presque à chaque page du «Message automatique» de 1933 où l'on trouvera même une critique du procédé faite pour donner à réfléchir. Selon Breton, le torrent verbal qu'il a tenté de déchaîner en «ouvrant les écluses» au message subconscient est venu se briser sur deux sortes d'écueils. Le premier réside dans l'attrait excessif exercé sur le scripteur par les images visuelles inattendues que le courant charrie — attrait tel que celui-ci, au risque même de rompre le cours naturellement uniforme du «murmure auditif», se voit porté à exercer à leur profit exclusif une sorte de tri préférentiel. Danger qui paraît à Breton menacer très particulièrement les poètes, donc lui-même. («Il en a résulté pour nous, durant l'écoute même, une succession à peine intermittente d'images visuelles, désorganisantes du murmure et qu'au plus grand détriment de celui-ci nous n'avons pas toujours échappé à la tentation de fixer.») D'autre part, les images visuelles et tactiles pures, non encore gainées de leur enveloppe de mots, non encore «verbalisées» qui flottent sans cesse dans «larégion — de superficie inévaluable — qui s'étend entre la conscience et l'inconscience» se présentent sans cesse à la traverse, avec une brusquerie «éruptive», violemment émouvante, qui tend à chaque instant à déchirer la frêle trame — la trame pourtant infiniment plus précieuse — du tissu verbo-auditif.
En d'autres termes Breton, avec une lucidité aiguë, met l'accent ici sur le déchirement continuel qui guette les adeptes sincères de l'écriture automatique. Il est impossible en effet que la pratique de cette écriture — soit qu'elle fasse brusquement perdre prise aux sollicitations de l'esprit par la vie courante, soit par la simple collision fortuite de deux mots qui soudain éclatent en image — ne conduise pas, et presque à chaque instant, celui qui l'emploie à abandonner le fil de la pure suggestion auditive pour s'attarder, ne fût-ce qu'un instant, à «voir» (mais voir). L'image visuelle ou tactile une fois surgie dans l'esprit à la faveur de cette complicité, il est presque aussi impossible (surtout à un poète) de réprimer un effort très conscient pour la capter, avant qu'elle ne s'envole — d'où une rupture brutale du murmure qui, à chaque fois désorienté, «reprend mal» et fait coïncider trop souvent l'expérience d'une page d'écriture automatique avec celle d'une nuit hachée d'insomnies. La plume qui glisse malgré elle sur l'image visuelle tyrannique comme sur une flaque réfléchissante, mais gelée, tend à tracer dans l'écriture automatique une piste
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