André Breton, quelques aspects de l’écrivain
advient de la "forme d'une ville" — même de la vraie ville distraite et abstraite de celle que j'habite par la force d'un élément qui serait à ma pensée ce que l'air passe pour être à la vie» (Nadja).
...et, nous forçant à prolonger une série inquiétante au-delà des bornes logiques, éveiller par sympathie on ne sait quelle cloche d'Is, quelle vibration de cristal sous l'eau.
On multiplierait sans grande peine les exemples de ce retournement de l'exigence syntaxique. Breton n'est d'ailleurs pas le premier à l'avoir ainsi employée à la façon d'un piège continuel, apte à saisir ce qui se meut perpétuellement aux confins du contenu délibéré de la phrase, à l'avoir mise au service d'une langue qui se veut avant tout agglutinante. D'autres avant lui avaient utilisé à l'occasion cette vertu de la syntaxe d'être — autant qu'à discipliner le contenu concerté d'une phrase — propre à certains usages externes. Mais on s'avise à partir de lui qu'il est possible de concevoir une lame assez flexible, assez souple — quoique du meilleur métal — pour passer à travers tous les joints, tous les défauts de l'armure logique. Mais à Breton revient sans doute le mérite d'avoir le premier tenu délibérément entre ses doigts l'armature de la langue française, qu'il a su rendre infiniment flexible, à la façon d'une baguette de coudrier.
Nous avons assisté, dans cette coupe à travers la phrase de Breton — phrase de prosateur où les mots se doivent de céder le pas, nous l'avons vu, à ce qui les assemble — à la mise en place insidieuse d'un appareil détecteur propre à déceler à grande distance les trains d'ondes sensibles. La sensitive, à laquelle est consacré un passage caractéristique de L' Amour fou, pourrait passer pour l'emblème de cette prose si bien liée, si unie en apparence — mais unie comme la surface d'une mer d'herbes longuement ondulante, où le moindre souffle propage librement des ondes contagieuses. L'obtention d'une matière verbale capable de se révéler tout entière bonne conductrice a permis à Breton de résoudre au moins en partie ce problème de détection, d'exploration, qui, nous l'avons vu, se place au premier rang de ses soucis en matière d'écriture. Au problème non moins ardu de la communication de la pensée opposée à son expression selon les voies logiques il a tenté de même d'apporter des solutions qui méritent de retenir.
La découverte d'une telle solution apparaissait d'ailleurs, en vertu du système de pensée que Breton faisait sien, d'une urgence assez dramatique à partir du moment où le surréalisme entendait se répandre, se mettait en devoir de solliciter des adhésions. Se développant avant tout dans le sens d'une croisade contre les manières de penser logiques, celui-ci ne pouvait guère en effet se permettre de présenter à des néophytes quoi que ce fût qui ressemblât à une argumentation. Jamais Breton n'a tenté d'avancer à l'appui de sa doctrine des preuves discursives — jamais il n'a pu être question pour lui, ni de près ni de loin, d'essayer de la démontrer. Il n'en renonçait pas pour autant à forcer la conviction (un des caractères les plus frappants de la doctrine est qu'elle se trouva prêchée aussitôt que découverte) et par là se voyait conduit à envisager, pour emporter des adhésions nouvelles, un moyen qui fût pur de toute compromission avec l'exposé didactique. Il semble qu'il ait tiré pour cette recherche (en dehors, peut-être, de la lecture de Nietzsche) un grand enseignement de la pratique de l'écriture automatique, et de ce qu'il crut voir se révéler, à travers elle, du fonctionnement réel de la pensée.
Le mode de communication de la pensée chez Breton, la façon dont il envisage sa transmission par l'écriture, se réfère en effet à quelques assertions capitales qu'il faut aller chercher dans le Premier manifeste — et, de façon assez symptomatique, au milieu même d'un développement consacré précisément à l'écriture automatique.
«Je résolus d'obtenir de moi ce qu'on cherche à obtenir d'eux (les malades mentaux) soit un monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel l'esprit critique du sujet ne fasse porter aucun jugement, qui ne s'embarrasse par suite d'aucune réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée. Il m'avait paru, et il me paraît encore... que la vitesse de la pensée n'est pas
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