Antidote à l'avarice
l’effort de guerre, et le roi est furieux de ces attaques. Sa Majesté, ajouta-t-il avec délicatesse, tient ses informations de Pons de Santa Pau. C’est un neveu du grand amiral mort au cours du récent conflit, et je crois – j’espère – qu’on peut avoir en lui une confiance absolue. Il est cependant assez jeune et manque peut-être d’expérience en ce qui concerne la duperie. Votre Excellence doit observer discrètement ce qui se passe et, quand vous aurez un sentiment sur la question, vous devrez le rapporter à Sa Majesté. J’ai ici une lettre que Sa Majesté adresse en votre faveur à l’archevêque.
— Veuillez transmettre ma profonde gratitude à Sa Majesté, fit Berenguer.
Olzinelles hocha la tête et poussa la lettre sur la table.
— L’Église constitue toujours une épine au flanc de Sa Majesté.
Berenguer s’apprêtait à franchir la porte quand il s’arrêta.
— Le roi sait-il que des bandits ont tenté d’enlever la religieuse que nous escortions jusqu’à Tarragone ?
— Oui. Sa Majesté se soucie de toujours demeurer informée.
— J’en suis certain, affirma Berenguer en s’inclinant.
À l’heure du dîner, la cour de la maison de Mordecai ben Issach était chaude et baignait dans le calme du sabbat. La longue table à tréteaux avait été dressée sous les citronniers, avec un repas abondant mais simple pour ceux qui étaient affamés. Raquel considérait sans grand appétit la nourriture posée devant elle. Elle se servit tout de même, grignota un peu et quitta la table. Emportant avec elle du flan crémeux destiné à réveiller la faim de Gilabert, elle monta dans sa chambre.
Naomi était assise près du lit et éventait doucement le jeune homme.
— Va manger quelque chose, lui dit Raquel. Je resterai auprès de lui.
— Je ne sais pas ce qui se passe, répondit la cuisinière avec humeur. Il fait aussi chaud qu’en juin, ici. On n’arrive pas à respirer dans cette fournaise. Et on dit que ce sera encore pire à Tarragone. On aurait dû rester à la maison.
— Il y a dans la cour une fraîcheur agréable. Va, trouve-toi à boire et avale quelque nourriture.
Sans cesser de grommeler, Naomi quitta la chambre et Raquel veilla le patient. Il était pâle, mais éveillé.
— C’est mon ange venu du ciel, dit-il. Je me demandais où vous étiez.
Raquel posa la main sur son front et le trouva frais.
— Vous allez mieux, constata-t-elle.
— Comment va ton patient ? interrogea une voix familière.
— Papa ! Vous m’avez fait peur. Sa fièvre a diminué aujourd’hui.
— Bien. Tu peux te reposer. Je souhaite lui parler.
Raquel prit son ouvrage et s’en alla.
— Comment va votre main ? demanda Isaac.
— Elle me fait souffrir, je le confesse.
— Une douleur vive, ou bien sourde et continue ?
— Tantôt l’un, tantôt l’autre. Je m’efforce de ne pas y penser. Si j’y pense, cela me dérange. Je dois la supporter, et c’est ce que je fais.
— Avez-vous pris quelque repas ?
— Un peu de soupe. Votre excellente fille m’a apporté du flan mais…
— Vous pouvez en manger maintenant ? C’est important.
— Je ne le puis pas, s’impatienta-t-il. Je suis impotent, couché dans ce lit, et j’ai trop de choses à quoi penser. Non, je ne peux pas manger.
— Vous n’avez rien à penser hormis recouvrer vos forces et votre santé, dit Isaac avec fermeté.
— Maître Isaac, je suis un homme mort. Je ne sais même pas si je suis condamné à demeurer mort à tout jamais, ou si je peux subitement revenir à la vie. Dans mon délire, j’ai cru que vous aviez pour mission de m’emporter au ciel. Ou peut-être de veiller sur moi ici-bas.
Il agitait la tête en tous sens.
— Maître Isaac, vous avez une qualité qui n’est pas de ce monde.
— C’est votre fièvre qui vous parle, mon ami, dit doucement le médecin. Moi aussi, je suis fait d’argile, et je n’ai rien d’un esprit.
— Pensez-vous que, lorsque je parlais d’homme mort, je devais être pris au pied de la lettre ?
— Non. Je me demandais seulement comment vous aviez pu en arriver là.
— C’est simple, murmura le jeune homme dont la voix trahissait la fatigue et le découragement. J’ai un ennemi.
— Qui est-ce ?
Il secoua la tête et ferma les yeux.
— Je l’ignore. Un voisin. Un ami. Un parent. Quelqu’un qui m’est proche et souhaite m’abattre.
— Qu’a-t-il fait ?
— Rien. Il m’a
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