Antidote à l'avarice
détruit.
— Expliquez-moi cela. Prenez tout votre temps, car je songe que pour diverses raisons il vaudrait mieux me parler.
— Bien des gens sont en partie au courant, commença Gilabert, mais je préférerais que vous n’en parliez pas encore.
— Si c’est ce que vous demandez, je ne dirai rien.
— Les terres de mon père sont vastes et bien irriguées. Au flanc des collines poussent des oliviers qui portent plus de fruits qu’on n’en peut cueillir et des vignes dont le vin le meilleur occupe un millier de caves tandis qu’une grande quantité de vin ordinaire est délaissée. Nous avons aussi des troupeaux de vaches et de moutons.
— Une position fort enviable, remarqua Isaac.
— Il en est bien d’autres qui jouissent des mêmes dons du Seigneur, mais ils ne semblent pas s’en satisfaire. Mon père est mort alors que j’étais dans ma quinzième année. En quelques mois, des rumeurs se sont répandues à propos de pratiques ignobles et licencieuses qui auraient été les miennes. Je n’étais pas en mesure de les faire taire mais, comme elles n’avaient aucun fondement, je ne les croyais pas capables de me faire grand mal. J’avais tort. Quand j’ai eu seize ans, j’ai dû fuir mes terres. Je me suis caché – peu importe où –, et mes amis se sont lancés dans la longue et périlleuse tâche qui consistait à laver mon honneur.
— Qui s’est occupé de vos propriétés ?
— Mon oncle. Le frère de ma mère. Sans cesse, il a eu des ennuis, mais il fait preuve de ténacité. Il s’y attendait. Un mineur qui hérite de terres prospères est toujours entouré de vautours. Trois propriétaires voisins ont jeté sur elles leur dévolu.
— Avez-vous d’autres parents susceptibles de revendiquer vos biens ?
Il fit non de la tête.
— Et votre oncle ? demanda Isaac.
— Je soupçonne tous les hommes, maître Isaac, mais pas lui. Je ne le peux pas. Mon oncle est mon meilleur ami. Il s’est appauvri en combattant mes ennemis.
Il s’arrêta de parler et ferma un instant les yeux.
— Je crois que nous avons enfin gagné. C’est peut-être pour cela que, dans leur désespoir, ils ont fait usage de violence à mon égard.
— Leur désespoir ?
— Oui, car sinon, pourquoi chercheraient-ils à me tuer ?
— Ils n’ont pas voulu vous tuer, Don Gilabert. De toute évidence, ils tenaient à vous garder en vie pour que vous leur donniez les informations qui leur sont absolument nécessaires.
Comme Isaac parlait, Gilabert ferma les yeux. Il les rouvrit au bout d’un moment.
— Je suis très las, maître Isaac. À nouveau je vous demande de ne rien dévoiler de tout cela, pas même à l’évêque, tant que je n’ai pas vu mon oncle.
Plus tard, le même jour, un messager arriva d’Avignon, porteur d’un sac de cuir scellé et estampillé aux armes de l’évêque de Barcelone, absent pour cause de service permanent au palais pontifical. Le messager tendit le sac pour qu’il fût remis au vicaire général, Francesc Ruffach, puis il se retira dans la quiétude des cuisines du palais.
Le sac ne contenait rien de bien surprenant. Il y avait là trois lourds documents, deux sur parchemin et le troisième sur papier, que le vicaire avait envoyés en Avignon pour obtenir l’approbation, la signature et le sceau de l’évêque, et que ce dernier lui avait retournés. Deux autres, originaires d’Avignon, demandaient au vicaire de prendre certaines mesures. Enfin, une lettre de l’évêque était personnellement adressée à Ruffach.
Le texte en était propre et écrit avec élégance, totalement prévisible aussi. Y étaient exposés un certain nombre de sujets en relation avec les documents joints. Ce n’est qu’au dernier paragraphe que l’évêque absent soulevait un point des plus étranges.
« Vous aurez donc reçu les documents envoyés il y a quatre jours. À cause d’une maladie passagère et de la presse qu’occasionnent mes autres affaires, j’ai négligé de contacter l’évêque de Gérone à leur propos. J’ai souhaité exposer au conseil les problèmes soulevés par les décisions qu’ils contiennent. Je suis certain que l’archevêque a reçu la liste que j’ai préparée, même si ce n’est pas le cas de l’évêque de Gérone, alors que je comptais, bien entendu, sur son précieux soutien. Vous me rendriez un grand service si vous faisiez recopier cette liste et si vous l’envoyiez à l’évêque au palais
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