Antidote à l'avarice
timidité quand les étrangers assis à table leur prêtaient attention. Pendant toute la soirée, Isaac parla calmement avec son confrère de médecine, de politique et de la triste situation que vivaient les juifs de Paris et des autres villes où l’on parlait le francique.
Dès qu’elle le put, Raquel emprunta l’escalier pour se rendre dans la vaste chambre où la femme de Mordecai avait installé Gilabert.
— Comment va-t-il, Naomi ? demanda-t-elle.
— Il dort, murmura la cuisinière. Il a bu du bouillon et mangé un morceau de pain, puis il s’est endormi. Sa fièvre n’est plus aussi forte, me semble-t-il.
Raquel posa la main sur son front et acquiesça.
Gilabert ouvrit les yeux.
— Holà, bel ange, quel est cet endroit ?
— C’est une chambre dans la maison de Mordecai le médecin.
— Vous ne me laisserez pas ici, n’est-ce pas ? Quand vous vous rendrez à Tarragone ?
— Je ne le crois pas, dit Raquel d’un ton hésitant. Mais je demanderai à papa.
— Je suis sûr qu’il n’y a pas d’ange dans la maison de Mordecai, dit-il.
Sur ce, il se rendormit.
Isaac fit courir ses doigts sur le genou de l’évêque sans lui tirer la moindre plainte.
— La chaleur et le gonflement de l’articulation ont enfin disparu, Votre Excellence, dit le médecin. Nous devons maintenant les empêcher de revenir.
— Chaque chose en son temps, maître Isaac. Parlons de choses plus plaisantes. Sa Majesté souhaite voir son pupille aujourd’hui même.
— Sa Majesté est toujours très aimable. Yusuf attend sur les marches. Je lui dirai de vous accompagner au palais.
— Mais vous aurez besoin de lui pour rentrer, maître Isaac. Il peut me rejoindre au palais royal.
— Je répugne à l’envoyer seul en ville. Il attire la convoitise de ceux qui font commerce d’esclaves.
— Dans ce cas, vous devrez nous attendre ici. Venez avec moi au verger. C’est un endroit fort agréable pour y passer le temps. J’enverrai Francesc et Bernat vous amuser en vous racontant le récit de mes péchés.
— Votre Excellence est très aimable.
— Venez, maître Isaac, descendons ensemble. J’ai écrit une lettre à mon ami à propos de frère Norbert. Je suis certain qu’il détient des informations.
— Quand attendez-vous une réponse ?
— Pas avant notre retour à Gérone. S’il sait se montrer prompt.
— Ensuite, j’en suis certain, Votre Excellence dormira sur ses deux oreilles.
Le verger était frais et plaisant en dépit de la chaleur matinale. Quelqu’un lui apporta une boisson fraîche à la menthe et au citron, et il attendit dans l’ombre tachetée de lumière tandis qu’une brise légère frôlait son visage. Le voyage et les bruits inhabituels de la maison de Mordecai l’avaient désorienté. Ils perturbaient son audition et, avec elle, tous ses autres sens. Il espérait que les bons pères ne se hâteraient pas. Il avait besoin de temps pour réfléchir et jouir de la tranquillité.
C’est alors qu’il entendit des pas sur les marches du palais. Il allait être interrompu plus tôt qu’il ne le souhaitait, et il soupira, résigné.
— Sortons et faisons nos affaires en paix, dit une voix qu’il ne connaissait pas. Tu te rends à Tarragone ?
Ce n’était pas une voix désagréable, mais le médecin ne put s’empêcher de frissonner.
— Oui, señor, répondit une autre voix. J’ai un plein sac de courrier à remettre à l’archevêque avant le début de la conférence.
— Ceci ne pèsera pas lourd sur le dos de ton cheval. Peux-tu porter un message pour moi ? Je t’en serais très reconnaissant.
— Quelle sorte de message, señor ?
— À la taverne de la rue des Scribes, demande mes amis Benvenist et Miró. Annonce-leur qu’ils doivent se livrer aux préparatifs dont on a parlé en vue de mon retour. Si tu peux te souvenir de cela, j’ai ici la moitié de ton salaire ; mes amis te donneront l’autre moitié.
— Je m’en souviendrai, señor. Je connais cette taverne. Je dois rencontrer Benvenist et Miró et leur recommander de faire les préparatifs dont vous avez parlé en vue de votre retour. Dois-je leur donner votre nom, señor ?
— Ta mémoire est bonne. Tu peux leur dire que c’est un message de la part de leur jeune maître.
— La mémoire est mon métier, señor.
Isaac entendit cliqueter une bourse qui renfermait un nombre non négligeable de pièces, puis les pas des deux hommes disparurent à
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