Antidote à l'avarice

archiépiscopal.
    « Si l’occasion vous était offerte de pouvoir lui parler de ces problèmes, il serait sans nul doute sage d’en profiter. »
     
    — Avons-nous reçu une dépêche de Son Excellence en début de semaine ? demanda-t-il à son secrétaire.
    — Une dépêche ? Certainement pas, mon père. Je vous l’aurais aussitôt apportée.
    — Dans ce cas, elle est perdue. C’est extrêmement malheureux. Son Excellence ne sera pas contente.
     
    À Gérone, ce même après-midi, le vicaire général, Don Arnau, avait fini de parapher une mince liasse de documents contenant des permissions, des ordres insignifiants et le tableau de service du mois à venir. Ce n’était pas une tâche très difficile ; dans chaque cas, quelqu’un d’autre avait pris la décision, élaboré les accords ou jaugé les mérites de chaque affaire. Cela ne l’empêcha pas de reposer la plume et de fermer les yeux de fatigue. Cinq jours d’effervescence routinière à la cathédrale l’avaient conduit aux limites de sa force et, au grand soulagement des autres chanoines, il ne cherchait plus à s’immiscer dans chaque crise, aussi infime fût-elle, ou dans chaque arrangement.
    C’est pourquoi, quand Marc, l’oncle de la fillette de Sant Feliu, apparut au palais, traînant sa nièce derrière lui et demandant à voir le vicaire général, il reçut un accueil glacial.
    — Son Excellence… le remplaçant de Son Excellence, je veux dire… commença Marc, il m’a parlé de terribles châtiments… et que si je savais autre chose, je devais venir le voir. Lui. Pas ses prêtres.
    — Autre chose à propos de quoi ? demanda un chanoine qui était absent le jour où l’on avait découvert le corps du moine.
    — Du franciscain assassiné, lui expliqua en bâillant Galceran de Monteterno. Conduisez-le à Don Arnau, même s’il faut pour cela interrompre son entretien.
    — Un entretien avec qui ? voulut savoir le chanoine.
    — Avec Morphée. À l’heure qu’il est, il doit être écroulé sur sa table tandis que le dieu du sommeil lui insuffle des rêves emplis du retour de Son Excellence.
    — Jouer à l’évêque n’est pas un travail pour qui éprouve le besoin de vérifier le moindre détail, de la note du boucher au nombre de chandelles que Monteterno ici présent brûle au-delà du nombre qui lui est alloué, dit Ramon de Orta.
    — Cet homme est un insensé, lâcha Monteterno.
    — Vous le jugez bien mal. Il n’a rien d’un insensé, reprit Orta. Et prenez garde à vous.
     
    Don Arnau se réveilla en sursaut, passa un mouchoir de soie sur ses lèvres et demanda à son secrétaire d’introduire l’homme et sa nièce.
    — Ils ne voulaient pas me laisser entrer, Votre Excellence, commença Marc, mais je me suis souvenu de ce que vous m’aviez dit, et quand la petite a revu l’homme au marché et qu’elle m’a expliqué que c’était lui, je me suis dit que je ferais mieux de venir vous trouver et de l’amener avec moi parce que je savais que vous voudriez l’entendre de sa bouche.
    Le vicaire général cligna des yeux. Il réfléchit un instant et se tourna vers la petite fille, car c’était certainement elle la plus sensée des deux.
    — Aujourd’hui, tu es allée au marché avec ton oncle ? l’interrogea-t-il.
    — Oui, Votre Excellence, ma maman a dit que je pouvais y aller.
    — Et tu as vu quelque chose que je devrais savoir, c’est bien cela ?
    Il souriait pour l’encourager à parler, mais son sourire était un peu crispé.
    Elle le prit pour ce que c’était, une marque de bienveillance.
    — Je ne l’ai pas vu, Votre Excellence, affirma-t-elle. J’ai entendu cet homme parler, et c’était comme le frère. Ce que je veux dire, c’est que ce n’était pas le frère, mais ça m’a fait penser à lui.
    — Comme s’ils venaient du même endroit, assez éloigné de Gérone ?
    — Je ne sais pas, Votre Excellence, je ne suis jamais allée dans un endroit comme ça. Je me suis seulement dit qu’ils parlaient un peu de la même façon.
    — Serais-tu capable de le reconnaître, mon enfant ?
    — Oh oui !
    — Voudrais-tu retourner au marché afin de le retrouver ? Mon secrétaire t’y emmènera, avec deux de mes gardes pour assurer ta sécurité. Et j’ai ici une petite pièce que je donnerai à mon secrétaire. Il a la permission de t’acheter tout ce qui te fera plaisir.
    Joignant le geste à la parole, Don Arnau ouvrit les cordons de sa bourse et