Apocalypse
à attendre : pour éviter que ses disciples ne l’enlèvent vivant de la croix et ne fassent croire à un miracle.
Les rires reprirent de plus belle.
— Marie ?
La voix de Jésus tomba de la croix alors qu’elle allait rejoindre les autres.
— Seigneur, interrogea-t-elle, tu es toujours vivant ?
— Oui, approche.
Avant d’obéir, Marie Madeleine se retourna vers les disciples sous la tente. Aucun d’eux ne bougeait. Ils devaient prier. Plus loin, sous les oliviers, les légionnaires ne cessaient de rire.
— Marie, viens.
— Oui, Seigneur.
Elle s’approcha de la croix. Elle leva les yeux. Les deux pieds du Christ n’étaient plus qu’une plaie vive. Les clous qui traversaient la chair s’étaient tordus. Ils avaient déchiré les muscles, brisé les os. Un lambeau de peau pendait, ballotté par le vent. Marie Madeleine sentit ses jambes se dérober sous elle.
— La douleur n’est rien. Il y a plus important.
Malgré le souffle sec qui lui brûlait le regard, elle fixait l’homme, suspendue à sa parole.
— Judas est venu.
— Ce traître qui t’a vendu ?
Elle secoua la tête de colère. Ses cheveux flamboyèrent comme l’éclair.
— Il m’a parlé.
— Mais comment a-t-il pu ? C’est lui qui t’a mené jusqu’à la mort.
— Marie… Marie… Tu parles et ne sais point. Judas…
Il respirait avec difficulté.
— Judas… Il sait la Vérité… Et il n’est pas encore temps que les hommes la connaissent.
— Mais quelle Vérité ?
La souffrance crispa son torse. Les côtes apparurent, saillantes, prêtes à se rompre.
— Jure-moi ! Jure-moi que tu feras tout pour que Judas ne parle jamais.
Marie Madeleine fixait le visage terreux du Christ dont les yeux s’agrandissaient comme dilatés à l’approche de la fin.
— La Vérité est comme la braise, si on ne veut pas qu’elle enflamme le monde, il faut qu’elle reste sous la cendre. Tu comprends, Marie ?
— Seigneur, Seigneur, je ferai tout ce que tu voudras !
— Rien ne doit demeurer de Judas. Tu entends ? Rien.
— Seigneur, ne me laisse pas ! implora-t-elle.
Le vent forcit. De lourds nuages noirs montaient de l’horizon. La face du crucifié s’assombrit. Un vol de corbeaux stria le ciel.
— Je croyais apporter la paix aux hommes. Je leur ai parlé d’amour. Mais ils ne m’ont pas entendu.
Le Christ hoqueta. Un filet de sang coula de ses lèvres et souilla sa barbe.
— Ils veulent le feu et le sang pour être purifiés ! Le Feu et le Sang !
Du haut de la croix, la voix se brisa.
— Ma mission, ici-bas, est finie…
— Seigneur… supplia-t-elle.
— … mais la tienne commence !
11
Paris
Rue Guénégaud
19 juin 2009
La voix cristalline de la chanteuse de Within Temptation résonnait dans tout l’appartement.
Running up that hill…
Antoine avait réglé à fond les enceintes de son iPod pour profiter du son depuis sa chambre à l’autre bout de l’appartement. Il adorait cette reprise électrique d’une chanson de Kate Bush et avouait un faible pour Sharon, la chanteuse brune du groupe gothique, qui voisinait dans son appareil avec les Pièces pour clavecin , de Rameau, ou Stupid Girl de Garbage. Que ce soit dans son nouveau lieu, un trois-pièces ensoleillé situé en face de la Monnaie de Paris, ou quand il traversait à scooter la place de la Concorde, il prenait un rare plaisir à vivre les oreilles saturées de musique.
Il vacilla légèrement. Debout sur une chaise branlante, il tentait d’accéder à sa valise coincée en haut du placard du dressing.
— Papa, tu pourrais pas baisser le son !
La voix de son fils, Pierre – un mètre soixante-dix-huit, la tignasse rêche après une semaine sans shampoing, et une profusion de boutons d’acné –, retentit derrière lui et faillit lui faire perdre l’équilibre.
— C’est de la daube, ton truc, ajouta l’ado en le regardant se dandiner pour attraper son bagage.
— De la daube… C’est du gothique !
— C’est ce que je dis. Le gothique, c’est à ièche.
Antoine poussa un petit cri de triomphe en attrapant la poignée de la valise qui vint doucement vers lui. Des sacoches de plastique posées dessus tombèrent à terre. Il descendit, son butin à la main.
— Si tu nous faisais une bonne entrecôte au lieu de jouer les critiques musicaux ? Tu me dois trois repas.
L’adolescent qui arrivait presque à sa hauteur prit un air fatigué. Ils
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