Au bord de la rivière T4 - Constant
réunion, dit Xavier en riant.
— En tout cas, je peux te dire que j’aime mieux être dans ma peau que dans celle du notaire. J’en connais dans le conseil qui seront pas contents pantoute si le curé a pris sur lui d’acheter cette cloche-là pour la paroisse sans nous en parler.
— À moins qu’il ait trouvé des donateurs à Trois-Rivières, suggéra Hubert sans trop avoir l’air d’y croire.
— On verra ben, conclut Donat, mais j’ai dans l’idée qu’il sera pas tard demain que je vais voir arriver Valiquette pour dire qu’on a une réunion spéciale du conseil avec monsieur le curé dès qu’il va être de retour de Trois-Rivières.
— Bon, là, je suis pas venu juste pour commérer, poursuivit Xavier. Je venais voir si t’aurais pas une cinquantaine de bardeaux de cèdre à me passer pour réparer le toit de mon étable. Je te les remettrai au mois de novembre.
— Gêne-toi pas, j’en ai un bon tas au fond de ma grange. Viens, on va aller t’aider à charger ça.
Après avoir déposé les bardeaux dans la voiture, les trois hommes entrèrent dans la maison. Quand Xavier apprit à sa mère avoir vu une cloche devant la chapelle, elle fut enchantée à l’idée qu’enfin l’Angélus, les messes, les obsèques et les mariages pourraient être annoncés.
— Il était temps qu’on soit comme toutes les autres paroisses autour, affirma-t-elle avec un air satisfait en servant une tasse de thé à ses fils qui venaient de prendre place autour de la grande table de la cuisine d’hiver.
— Mais on l’a pas commandée pantoute, cette cloche-là, déclara Donat, mécontent. Monsieur le curé a pris ça sous sa barrette et j’ai pas la moindre idée comment il pense qu’on va la payer.
— Monsieur le curé est pas fou, mon garçon, le réprimanda Marie Beauchemin. S’il a acheté une cloche, c’est qu’il sait comment elle va être payée.
— Le seul moyen que je vois, c’est que c’est un cadeau, m’man.
Le soir même, le petit notaire s’arrêta chez chacun des marguilliers de Saint-Bernard-Abbé pour leur apprendre la présence surprenante de la cloche devant la chapelle et son intention d’aller demander des explications au curé Désilets dès le lendemain après-midi, moment où il devait rentrer au presbytère.
Évidemment, les responsables de la paroisse étaient tous au courant et chacun avait même échafaudé une explication personnelle. Si Thomas Hyland et Samuel Ellis penchaient pour un don anonyme, Hormidas Meilleur croyait à un cadeau de l’évêque. Donat semblait être le seul à penser que le curé avait acheté la cloche sur un coup de tête en pensant que la fabrique n’aurait pas le choix de payer, placée devant le fait accompli. Il n’y avait que le notaire qui semblait ne pas s’être fait une opinion.
— En tout cas, on va bien finir par en avoir le cœur net, et pas plus tard que demain après-midi, fit le notaire Valiquette en serrant les dents.
Le petit homme se trompait puisque le curé Désilets n’arriva à Saint-Bernard-Abbé qu’au milieu de la soirée.
Le lendemain matin, 2 novembre, les paroissiens furent accueillis à la chapelle par une température qui allait bien avec la fête des morts. Une forte pluie accompagnée de vents froids et violents fit comprendre aux habitants de Saint-Bernard-Abbé que l’hiver n’était plus bien loin.
— Avez-vous parlé à monsieur le curé, hier ? demanda Hormidas Meilleur au notaire Valiquette en venant rejoindre les autres marguilliers, debout au fond de la chapelle.
— Non, je suis passé vers sept heures, il était pas encore arrivé.
— Est-ce qu’on va aller lui parler avant ou après la grand-messe ? demanda Hyland.
— Moi, je serais d’avis de pas bouger et d’attendre qu’il demande une réunion, suggéra Donat. Je suis certain qu’à matin, dans son sermon, il va en parler de sa cloche et on va enfin savoir sur quel pied danser.
— Il va peut-être dire combien il l’a payée… s’il l’a payée, intervint Samuel Ellis, l’air revêche.
— Oui, c’est ce qu’on va faire, déclara le président du conseil. On lui facilitera pas les choses, c’est certain.
Quelques minutes plus tard, le curé Désilets, vêtu de ses habits sacerdotaux noirs et encadré par ses deux servants de messe, entra dans le chœur. Il fit une génuflexion au pied de l’autel et alla y déposer son calice. La grand-messe dédiée aux défunts commença.
Quand
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