Au bord de la rivière T4 - Constant
vint le moment du sermon, le prêtre, tout fier, annonça en français et en anglais que Saint-Bernard-Abbé allait enfin avoir une cloche dans le petit clocher de sa chapelle, comme il se devait depuis longtemps. Il était même assez étonné que les hommes de la paroisse n’aient pas déjà entrepris de l’installer, ajouta-t-il avec une note de reproche dans la voix.
— Une si belle cloche ne peut que s’abîmer à traîner devant le parvis, précisa le pasteur, et je suis surpris que nos marguilliers n’aient pris aucune mesure pour la protéger de la pluie et du froid, conclut-il. Dimanche prochain, vous serez appelés à venir à la chapelle par le carillon de cette magnifique cloche, promit-il.
Avant de retourner à la célébration de la messe, il tint à préciser à ses ouailles :
— À deux heures, oubliez pas qu’il y aura une célébration spéciale pour la fête de nos défunts au cimetière, je vous attends nombreux.
À la fin de la cérémonie, Valiquette enjoignit les marguilliers de ne pas traîner dans la chapelle ou sur le parvis pour ne pas donner une chance au curé Désilets d’envoyer le bedeau les chercher.
— S’il veut nous voir, il me demandera une réunion, et à ce moment-là on tirera les choses au clair, dit-il, l’air vindicatif.
Après le repas du midi, le curé de Saint-Bernard-Abbé remercia l’abbé Farly de l’avoir remplacé si longtemps alors que le vicaire venait de déposer sa petite valise près de la porte du presbytère. Ce dernier le salua ainsi que la ménagère et quitta les lieux à la vue du bedeau qui avançait son boghei au pied des marches.
En ce dimanche après-midi maussade, le curé envoya Agénor Moreau, le bedeau, demander au notaire Valiquette de convoquer une réunion exceptionnelle le soir même.
À contrecœur, les membres de la fabrique se retrouvèrent devant la porte du presbytère sous une petite pluie froide aussitôt après le souper.
— Batèche ! on va ben passer toute la soirée avec lui, fit Hormidas Meilleur, de mauvaise humeur, en arrivant devant le presbytère.
— Voyons, père Meilleur, c’est ben moins éreintant pour un jeune marié comme vous de passer la soirée avec monsieur le curé qu’avec votre Angèle, plaisanta Samuel Ellis, qui n’avait guère envie de rire.
— Ça, c’est toi qui le dis, rétorqua le petit postier en repoussant son chapeau melon verdi par les intempéries avec un clin d’œil coquin.
— Bon, c’est bien beau ! Mais qu’est-ce qu’on fait avec monsieur le curé ? demanda Donat Beauchemin.
— On va d’abord le laisser s’expliquer, répondit Thomas Hyland. On sait pas encore s’il a acheté la cloche ou si c’est un don.
Les autres membres du conseil approuvèrent en hochant la tête dans le noir.
— Et s’il faut la payer, il faut s’entendre sur ce qu’on va faire, intervint le notaire Valiquette.
— Il est pas question que la fabrique paye pour ça, fit Samuel Ellis avec rage. Il nous a déjà mis le couteau sous la gorge quand il nous a obligés à construire le jubé !
— Et le presbytère aussi, dit Hormidas Meilleur.
— De toute façon, c’est ben clair, reprit Hyland, il reste trois piastres dans la caisse pour payer les cierges et le vin de messe.
— Et s’il nous dit que les dîmes et la location des bancs vont rentrer ? fit le notaire.
— Presque toutes les dîmes sont payées en nature, répondit Donat. En plus, on a un paiement à faire pour le presbytère le premier janvier.
— Là, c’est bien clair, déclara le président. Il est pas question qu’on plie.
— On pliera pas devant ce caprice-là, renchérit Ellis avec détermination, en frappant à la porte.
La ménagère vint ouvrir aux membres du conseil en tenant une lampe à bout de bras. Elle vit à ce que chacun nettoie ses chaussures sur la catalogne posée devant la porte. Elle entraîna ensuite les visiteurs vers la petite salle de réunion où le curé Désilets les attendait, sans le moindre sourire de bienvenue, le visage impénétrable. Ces derniers n’eurent droit qu’à un froid « Bonsoir, messieurs ». Le prêtre leur laissa à peine le temps de retirer leur manteau avant de se tourner vers le crucifix pour faire le signe de la croix et réciter la courte prière traditionnelle marquant le début de chacune des réunions du conseil.
— Je laisse la parole à monsieur le curé qui m’a demandé de convoquer cette réunion spéciale, fit
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