Au bord de la rivière T4 - Constant
Saint-Bernard-Abbé ?
— Dites donc, vous deux, avez-vous perdu un pain de votre fournée ? finit par leur demander Marie, intriguée par le silence prolongé de ses deux enfants.
— Bien non, m’man, répondit Donat en sortant de ses réflexions.
— Et toi, Bedette ? insista sa mère.
— J’ai rien. Il y a juste que je trouve les dimanches bien ennuyants à me bercer toute seule dans la balançoire, comme une belle dinde.
— Ça, ma fille, tu l’as bien cherché, laissa tomber abruptement Marie au moment où le boghei s’arrêtait près de la galerie. Si t’avais meilleur caractère, t’aurais encore un cavalier.
— Si vous parlez de Constant Aubé, m’man, il vient plus veiller parce que je lui ai dit que j’étais fatiguée de le voir, pas parce qu’on s’est chicanés.
— C’était une bien bonne idée, lui fit remarquer sa mère d’une voix acide en descendant de voiture. À cette heure, tu te ramasses le bec à l’eau. Tant pis pour toi.
— Vous saurez, m’man, que s’il revient pas me voir, c’est parce que je le veux pas, se vanta Bernadette, le rouge au front. J’aurais juste à claquer des doigts et il reviendrait en courant.
— Si c’est comme ça, ma fille, dépêche-toi de claquer des doigts, rétorqua sa mère, l’air narquois. Moi, j’ai l’impression que ton Constant va finir par regarder ailleurs, et plus tôt que tard, à part ça.
Quelques minutes auparavant, Xavier venait de monter dans son boghei en compagnie de Catherine dans l’intention de rentrer à la maison quand il vit apparaître Agénor Moreau, le vieux bedeau.
— Maudit ! je te cherche depuis cinq minutes, s’écria le vieil homme un peu à bout de souffle.
— Ben, vous m’avez trouvé, monsieur Moreau, répliqua Xavier sur un ton plaisant.
— Pars pas tout de suite, lui ordonna le bedeau. Monsieur le curé aimerait te dire deux mots.
— Qu’est-ce qu’il me veut ?
— Je le sais pas pantoute.
— Il veut me voir tout seul ?
— Il m’a rien dit.
— Si c’est comme ça, viens avec moi, Catherine, dit le jeune homme à sa femme en descendant de voiture. J’espère que ce sera pas trop long, cette affaire-là. Moi, je meurs de faim. J’ai rien mangé depuis hier soir.
Xavier entra dans la chapelle en compagnie de sa femme et alla frapper à la porte de la sacristie. Josaphat Désilets, le visage fermé, vint ouvrir au jeune couple.
— Bonjour, monsieur le curé, le salua Xavier. Le bedeau vient de me dire que vous voulez me voir.
— En effet, reconnut le prêtre sans esquisser le moindre sourire.
— C’est à quel sujet ?
— Tout d’abord, j’aimerais savoir si ce qu’on raconte sur toi et ta femme dans la paroisse est vrai.
— Ça dépend, laissa tomber le cultivateur du rang Sainte-Ursule, immédiatement sur ses gardes.
— On raconte partout que t’aurais adopté l’enfant que ta femme a eu hors des liens du mariage. Est-ce que c’est vrai, cette histoire-là ? demanda l’ecclésiastique, sur un ton sévère.
— En plein ça, monsieur le curé, répondit Xavier en adoptant une attitude de défi.
— Et toi, ma fille, t’as laissé ton mari faire une chose comme ça ? s’indigna Josaphat Désilets en adressant à Catherine un regard rempli de désapprobation.
Catherine, le visage pâle, se contenta de baisser les yeux. Xavier sentit la moutarde lui monter au nez et il crispa les poings.
— Ma femme a rien eu à voir avec ma décision d’adopter le bébé, affirma-t-il d’une voix tranchante. En plus, j’ajoute que ça regarde pas personne. Si j’entends une langue sale de Saint-Bernard dire un mot contre ma femme ou la petite, je vais lui faire regretter d’être venu au monde.
Une telle rage semblait habiter son paroissien que Josaphat Désilets, apeuré, décida de changer de ton.
— Veux-tu bien me dire qui t’a conseillé de faire une affaire comme ça ?
— Personne, monsieur le curé. Je pense être assez grand pour conduire ma barque tout seul.
— T’aurais pu au moins en parler avec ton curé, non ?
— Je vois pas pourquoi, laissa sèchement tomber Xavier.
— Pense à l’exemple que ça donne aux jeunes filles de Saint-Bernard.
— Ma femme va élever sa petite comme toutes les mères. À mon avis, il y a juste les mangeux de balustres qui vont crier au scandale, dit le jeune cultivateur d’une voix rageuse.
— Bon, c’était tout ce que j’avais à vous dire, conclut le
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