Au bord de la rivière T4 - Constant

premier juillet et adopté par la plupart des évêques du Québec.
    — Il est dorénavant défendu au clergé de la province de chercher à influencer les électeurs pendant une campagne électorale, tonna le prêtre du haut de la chaire. Par le fait même, vous comprendrez que je ne peux appuyer l’un ou l’autre parti, ajouta-t-il avec une légère note de regret dans la voix.
    En ce second dimanche du mois de juillet 1872, beaucoup d’hommes présents dans la chapelle de Saint-Bernard-Abbé échangèrent des regards stupéfaits. C’était à n’y rien comprendre. Le clergé avait toujours soutenu aveuglément les conservateurs depuis le début de la Confédération parce qu’il jugeait le parti plus respectueux de l’Église et des valeurs familiales. Par ailleurs, les autorités ecclésiastiques ne s’étaient jamais gênées pour comparer les libéraux à des suppôts de Satan avec leurs idées modernes et leur façon de contester le pouvoir des prêtres sur le peuple.
    — Maudit torrieu, par exemple ! ne put s’empêcher de s’exclamer à voix basse un Donat hors de lui.
    — Chut ! lui intima sa mère.
    Le jeune cultivateur secoua la tête. Il avait du mal à imaginer quel effet cette neutralité allait avoir sur la campagne qui allait commencer. Il tourna la tête vers Samuel Ellis, assis dans le banc voisin en compagnie de sa femme Bridget. Il serra les poings à la vue du petit sourire triomphant affiché par l’organisateur irlandais des Rouges dans Saint-Bernard-Abbé et Sainte-Monique.
    À la fin du service religieux, le fils de Baptiste Beauchemin s’empressa d’aller rejoindre quelques ardents supporteurs des Bleus dont faisaient partie ses beaux-frères Rémi Lafond et Liam Connolly.
    — Ça, ça part mal des élections en baptême ! ne put-il s’empêcher de déclarer en arrivant près du petit groupe rassemblé au pied du parvis de la chapelle.
    — Je suis pas certain pantoute que ça va avoir tant d’effet que ça, dit Rémi d’une voix mesurée. Moi, je connais pas ben des hommes de Saint-Bernard ou de Sainte-Monique qui se laissent influencer par ce que dit le curé dans le temps des élections. La plupart votent toujours du même bord de père en fils.
    — Je le sais ben, reconnut Donat, mais je pensais à tous les avertissements que donnent d’habitude les curés à ceux qui votent pour les Rouges. C’est tout juste s’ils disent pas que c’est un péché mortel de voter pour eux, ajouta-t-il avec un ricanement.
    — Ben, on se débrouillera sans l’aide de monsieur le curé, intervint Liam.
    — Est-ce que tu vas encore avoir besoin de nous autres ? demanda Xavier en faisant référence à l’aide que Liam et lui avaient apportée à Donat lors des dernières élections provinciales.
    — Beau dommage ! accepta le jeune cultivateur.
    — Ce coup-là, on va s’organiser pour surveiller notre bagosse, poursuivit Rémi, faisant allusion au fait qu’on avait trafiqué leur alcool la fois précédente avec du séné, ce qui avait rendu passablement malades de nombreux partisans.
    — Inquiète-toi pas, s’empressa de le rassurer Donat avec un sourire. Hier, Lemire m’en a apporté trois petits barils et il y a personne qui va être capable d’y toucher.
    Un peu plus loin, Camille s’était approchée de ses deux sœurs qui étaient en conversation avec leur nouvelle belle-sœur.
    — Est-ce que ça te dérangerait si je passe voir votre petite cet après-midi ? demanda-t-elle à Catherine.
    — Pantoute, ça va me faire plaisir de te la montrer et de te faire visiter notre maison.
    À ce moment-là, aucune des femmes du petit cercle ne remarqua le changement soudain qui s’opéra dans le visage de Bernadette Beauchemin. Ses traits s’étaient figés lorsqu’elle avait aperçu son ex-amoureux, debout près de son boghei dans le stationnement de la chapelle, en compagnie de Laurence Comtois, la fille aînée d’Ubald Comtois, un veuf du rang Saint-Paul. Le père de la jeune fille était en grande discussion avec un voisin quelques pieds plus loin. Elle eut beau le fixer durant plusieurs minutes, le meunier ne tourna pas une seule fois la tête dans sa direction.
    Son dépit devint si apparent que sa sœur Emma finit par s’en rendre compte et regarda dans la même direction qu’elle.
    — À te voir, on dirait que t’étais pas encore au courant que Constant Aubé était revenu de Québec, lui dit sa sœur à mi-voix pendant que leur mère