Au bord de la rivière T4 - Constant
pouvoir rentrer à la maison et voir son ex-amoureux que sa mère condamnait encore à garder le lit pour qu’il refasse ses forces.
À la fin de la semaine, Constant Aubé eut la permission de descendre passer une partie de la journée près du poêle. Alors, il parla de rentrer chez lui, permission que lui refusa catégoriquement Marie Beauchemin.
— Il en est pas question tant et aussi longtemps que tu tousseras creux comme tu le fais, lui dit-elle. Tu peux te lever et venir t’asseoir proche du poêle si tu veux, mais tu restes avec nous autres tant que tu seras pas d’aplomb, que tu le veuilles ou pas. T’as un homme engagé qui soigne tes animaux et qui chauffe ta maison. T’as rien de pressant à faire. De toute façon, Bedette serait pas contente qu’on te laisse partir à moitié guéri, ajouta-t-elle finement.
Le jeune meunier n’insista pas, il avait compris l’allusion. Le lendemain, Bernadette referma son cahier de préparation peu après sept heures et le remit dans son sac d’école avant de s’approcher de ses deux frères et de Constant en train de discuter près du poêle.
— Si t’es fatigué d’avoir été assis une bonne partie de la journée dans la cuisine, dit-elle au convalescent, on pourrait peut-être aller jaser dans le salon.
Constant tourna la tête en direction de Marie Beauchemin qui lui permit d’un signe discret d’accepter. Il se leva et suivit la jeune fille dans la pièce voisine pendant que la maîtresse de maison approchait sa chaise berçante pour être en mesure de surveiller ce qui se passerait au salon.
— On dirait qu’on est revenus au printemps passé, dit Bernadette, mal à l’aise.
— T’as raison, l’approuva Constant. Mais si c’est pour me renvoyer comme un chien galeux, comme tu l’as fait, poursuivit-il, j’aime autant qu’on recommence pas à se fréquenter.
Au timbre de sa voix, Bernadette comprit à quel point elle l’avait fait souffrir le printemps précédent quand elle lui avait demandé de cesser de venir veiller avec elle parce qu’elle avait besoin de réfléchir.
— J’ai eu tort, reconnut-elle. J’aurais jamais dû te faire ça.
— Est-ce que t’es en train de me dire que tu tiens un peu à moi ? lui demanda-t-il dans un murmure.
— Je pense que c’est plus que ça, lui avoua-t-elle en lui tendant l’une de ses mains.
— Si c’est comme ça, on oublie ce qui s’est passé et je vais me dépêcher de guérir pour venir veiller avec toi les bons soirs, si tu veux bien.
Ce soir-là, Bernadette se mit au lit soulagée. À aucun moment elle n’avait eu une pensée pour la boiterie de Constant et pour son visage aux traits grossiers. Toute à la joie d’avoir récupéré son amoureux, elle ne songeait qu’à sa tendresse et à sa générosité. Avant de s’endormir, elle se répéta la phrase que sa mère disait parfois à propos de son amoureux : « Ce garçon-là a un cœur en or. »
Deux jours plus tard, l’état de santé du meunier s’était amélioré au point qu’il s’apprêtait à retourner chez lui ce matin-là quand le curé Fleurant arriva chez les Beauchemin pour sa visite pastorale. Marie l’attendait en compagnie de sa bru et de ses deux fils. La veille, elle avait tenu à ce qu’un ménage en règle de la maison soit effectué.
— Tu peux pas partir comme ça au nez de monsieur le curé, fit remarquer la maîtresse de maison à Constant. Il va te prendre pour un malappris.
Le meunier en convint et décida d’attendre un peu.
Le nouveau curé de Saint-Bernard-Abbé descendit difficilement de sa sleigh à cause de son poids respectable et il se dirigea sans la moindre hésitation vers la porte de la façade de la maison. Depuis son arrivée, le prêtre n’avait eu aucun mal à se faire accepter par ses nouveaux paroissiens tant il était jovial et d’une approche facile.
Eugénie s’empressa d’aller ouvrir la porte qu’on n’utilisait que pour cette visite annuelle et lors du décès d’un habitant de la maison et pria Félix Fleurant d’entrer. L’homme d’Église fut rapidement débarrassé de son lourd manteau de drap et de son chapeau à oreillettes avant qu’on lui offre le meilleur siège du salon.
— Comment ça se fait, monsieur le curé, que vous vous faites pas conduire par le bedeau ? lui demanda Donat en lui serrant la main.
Le prêtre reconnut l’un de ses marguilliers et lui répondit en souriant :
— Monsieur Moreau rajeunit
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