Au bord de la rivière T4 - Constant

sa chaise, salua les hommes présents dans la pièce d’un sec hochement de tête et quitta la salle de réunion. Quand la porte se referma derrière lui, Félix Fleurant, le visage illuminé par un large sourire, tint à serrer la main de chacun des membres de son nouveau conseil et eut quelques bonnes paroles pour la belle chapelle de Saint-Bernard-Abbé et le presbytère.
    Pendant que le gros homme joufflu parlait, Donat l’examinait. Le nouveau curé avait des yeux bruns rieurs retranchés derrière d’épais sourcils. Son abondante chevelure poivre et sel séparée soigneusement à gauche avait la même couleur que sa courte barbe. Un ventre confortable tendait le tissu de sa soutane.
    — Je suppose que monsieur le curé Désilets vous a pas fait un portrait bien flatteur de son conseil ? demanda Eudore Valiquette.
    — Non, mentit avec diplomatie le prêtre. Je pense qu’il me laisse le soin de me faire une opinion moi-même.
    — Il faut dire qu’on s’entendait pas trop sur les dépenses que la paroisse pouvait se permettre, intervint Samuel Ellis.
    — Parlant de dépenses, fit Félix Fleurant, lequel d’entre vous est le trésorier du conseil ?
    — Moi, monsieur le curé, répondit Thomas Hyland.
    — Pouvez-vous me donner une petite idée de l’état des finances de Saint-Bernard ?
    Le propriétaire du moulin à bois ouvrit son cahier noir et présenta un relevé fidèle des dettes et de l’argent en caisse.
    — Bon, on peut pas dire que c’est très reluisant, affirma le nouveau pasteur, mais il n’y a rien là de surprenant pour une nouvelle paroisse. Nous allons faire attention à la moindre dépense, c’est tout.
    À la vue du sourire qui apparut sur le visage des marguilliers, il constata que sa dernière phrase leur avait fait plaisir.
    — Je ne voudrais pas vous retenir plus longtemps, reprit-il. Puis-je vous demander si vous avez l’intention d’organiser une petite fête pour montrer au curé Désilets votre reconnaissance ?
    Les têtes se tournèrent vers Eudore Valiquette, le président du conseil, et un long silence tomba sur la pièce.
    — On pourrait organiser quelque chose après la grand-messe, à l’arrière de la chapelle, si vous le permettez, monsieur le curé, suggéra le notaire.
    — Je pense que ce serait une bonne idée, approuva Félix Fleurant. Monsieur le curé Désilets ne part pas de gaieté de cœur.
    La réunion terminée, les marguilliers quittèrent le presbytère sans que Josaphat Désilets ait daigné se montrer. Malgré la froide température, les cinq hommes s’arrêtèrent près de leur sleigh pour échanger leurs premières impressions sur leur nouveau pasteur.
    — J’ai l’impression qu’on vient de mettre la main sur un curé ben à la mode, déclara Hormidas Meilleur.
    — On verra ben à l’usage, fit Samuel Ellis. Si ça se trouve, il est aussi bête que le curé Désilets.
    — On va tout de même lui donner une chance, intervint Eudore Valiquette. En attendant, qu’est-ce qu’on va faire pour la fête ? J’ai pensé qu’on pourrait demander à nos deux maîtresses d’école un petit discours. L’un pourrait être pour remercier le curé Désilets, l’autre pour souhaiter la bienvenue au curé Fleurant.
    — Comme ça va se faire après la grand-messe, ce serait peut-être une bonne idée de demander à des femmes de la paroisse de cuisiner un gâteau, proposa Thomas.
    — C’est correct, accepta le petit notaire. Donat, à titre de président de la commission scolaire, tu peux demander à ta sœur et à la petite Dionne de préparer les discours. Thomas et Samuel, voulez-vous demander à une douzaine de femmes de la paroisse de nous cuisiner quelque chose pour la fête ?
    Le lendemain, on apprit dans la plupart des foyers de Saint-Bernard-Abbé le départ du curé Désilets. Les hypothèses sur les raisons de ce départ aussi inattendu que précipité occupèrent une bonne partie des conversations qui se tenaient surtout au magasin général, en même temps qu’on se questionnait sur le nouveau curé qui avait été envoyé.
    Le soir de la réunion du conseil, Bernadette ne fut guère heureuse d’apprendre par son frère qu’elle devait rédiger un petit discours pour le surlendemain.
    — Je vois pas pourquoi je ferais ça, se rebella-t-elle quand son frère lui fit part de la décision du conseil.
    — Voyons, Bedette, fais donc pas l’enfant ! la réprimanda sa mère qui venait à peine de