Au bord de la rivière T4 - Constant
dépité.
— Si t’es toujours intéressé à avoir ta fromagerie, je peux te prêter jusqu’à trois cent cinquante piastres, laissa tomber Constant.
— T’es pas malade, toi ! s’exclama Hubert, estomaqué par l’énormité de la somme.
— C’est juste un signe que j’ai confiance que tu vas réussir, se contenta de rétorquer l’amoureux de Bernadette.
Hubert garda le silence durant un long moment avant de demander :
— Quels intérêts que tu vas me demander ?
— Je te l’ai déjà dit, laisse faire les intérêts. Mais je pense à quelque chose, ajouta le meunier. As-tu déjà eu affaire à Tancrède Bélanger ?
— Je lu ai déjà parlé, si c’est ce que tu veux dire.
— Moi, je te dis ça parce que le bonhomme est dur en affaires et lâche pas facilement le morceau. S’il a une chance de grappiller une cenne, il la manquera pas.
— Ouais, c’est pas rassurant, ce que tu dis là.
— Que penserais-tu que j’aille négocier le prix de sa terre avec toi en disant que je suis ton associé dans cette affaire-là ?
— C’est certain que ça me rendrait ben service, reconnut Hubert d’une voix hésitante, mais autant d’argent…
— Pourquoi on n’irait pas le voir tout de suite ? lui proposa Constant. Tu m’as dit qu’il demandait trois cent vingt-cinq piastres, on va bien voir s’il y a un moyen de lui faire baisser son prix. Après tout, nous autres aussi, on a des arguments. Ses rhumatismes le font souffrir et il a pas mal hâte d’aller vivre chez son garçon, non ?
Les deux jeunes hommes endossèrent leur manteau et se couvrirent la tête avant de se serrer dans le berlot. Il ne leur fallut que quelques minutes pour se rendre à l’extrémité du rang Saint-Jean, à faible distance du pont. L’attelage entra dans la cour de la ferme des Bélanger et s’arrêta près de la petite maison blanche à laquelle était accolée une longue remise. Une grange, une étable, une écurie ainsi qu’un poulailler en plus ou moins bon état complétaient les bâtiments disposés au fond de la cour ainsi que sur le côté gauche.
— Tout a l’air pas mal d’aplomb, déclara Constant en descendant du berlot.
Les deux visiteurs durent attendre quelques instants avant qu’Émérentienne Bélanger vienne leur ouvrir la porte et les invite à entrer.
— Enlevez votre capot et vos bottes pendant que je vais aller réveiller mon vieux, leur dit-elle. Il vient juste d’aller s’étendre.
La vieille dame disparut dans la pièce voisine et en ressortit quelques instants plus tard en compagnie de son mari à la couronne de cheveux ébouriffés qui passa ses larges bretelles sur sa chemise grise. En apercevant les deux jeunes hommes, Tancrède Bélanger ne put cacher sa surprise.
— Qu’est-ce que je peux faire pour vous autres, les jeunes ? leur demanda-t-il en leur montrant l’un des deux longs bancs placés près de la table.
— On est venus vous proposer un marché, monsieur Bélanger, lui annonça Constant. J’ai entendu dire que vous pensiez à aller vivre avec votre garçon à Saint-Zéphirin à cause de vos rhumatismes.
— Disons que c’est une idée qui m’a traversé la tête cet automne, répliqua le gros homme sur un ton neutre en prenant place dans une chaise berçante.
— Si j’ai bien entendu ce qui se racontait chez Dionne, vous demandiez trois cent vingt-cinq piastres pour votre terre, la maison et tout le roulant, poursuivit le meunier.
— C’était un prix lancé comme ça, dit le vieillard rusé. Là, aujourd’hui, si j’avais l’idée de vendre mon bien, je demanderais pas moins que trois cent cinquante piastres.
— Sacrifice, avez-vous acheté d’autres bêtes avant d’hiverner ? lui demanda Constant, en feignant l’étonnement tant il était rare de voir un cultivateur acheter de nouvelles bêtes avant l’hivernage.
— Non, mais le notaire Valiquette m’a dit que je demandais pas assez cher. Mais dis donc, toi, pourquoi tu t’intéresses tant à ma terre ? T’en as une bonne dans le rang et tu la cultives même pas. T’as ton moulin et une maison neuve.
Soudain, le propriétaire de l’ancien pont à péage se mit à avoir des doutes sur les raisons véritables de la présence des deux jeunes hommes chez lui en ce dimanche après-midi du mois de décembre. Il plissa les yeux en regardant Hubert Beauchemin qui n’avait pas encore ouvert la bouche depuis son entrée chez lui. Le vieil homme prit
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