Au bord de la rivière T4 - Constant
du manque d’enthousiasme du père d’Angélique, Hubert ne savait pas trop quel comportement adopter devant la jeune fille.
— Il faut pas trop t’en faire, lui conseilla celle-ci en posant une main sur l’un des bras de son amoureux. Mon père a pas dit non, il veut juste penser à son affaire.
Une heure plus tard, Hubert quitta la maison des Dionne après avoir salué ses hôtes. Ils ne lui manifestèrent pas plus de chaleur qu’à son arrivée.
La dernière semaine avant Noël fut neigeuse et la température assez douce, ce qui contribua à exciter encore un peu plus les élèves des deux écoles de rang de Saint-Bernard-Abbé qui sentaient arriver les vacances. Le vendredi après-midi, Bernadette et Angélique renvoyèrent les enfants à la maison, éprouvant un réel sentiment de soulagement en leur donnant rendez-vous le lendemain de la fête des Rois.
Depuis quelques jours, la plupart des maisons de la paroisse embaumaient d’odeurs appétissantes du matin au soir. Les ménagères s’étaient mises à confectionner les pâtés à la viande, les tartes à la mélasse, au sucre et aux œufs qui allaient être servis à Noël et au jour de l’An. Les hommes avaient mis à fermenter le caribou qui allait égayer les soirées. Le vin de cerise réservé aux dames était déjà prêt. Certaines maîtresses de maison avaient cuisiné du ragoût de boulettes et même plumé une ou deux poules.
Cette semaine-là, Hubert Beauchemin fut particulièrement silencieux et même si ses proches bouillaient d’impatience de lui demander quelle avait été la réponse de Télesphore Dionne, ils respectèrent son silence tout en devinant que le propriétaire du magasin général n’avait pas donné son accord.
Le samedi après-midi, Marie, sa bru et sa fille Bernadette s’activaient dans la cuisine de la maison de pierre du rang Saint-Jean.
— Pour moi, madame Beauchemin, Dionne a dans sa tête de tout mener à sa guise, dit Eugénie qui avait espéré que le frère de son mari aille s’installer dans la ferme de Tancrède Bélanger.
L’épouse de Donat n’avait pas renoncé à l’idée de persuader sa belle-mère de se donner à son mari, ce qui ferait de lui l’unique maître de la ferme du rang Saint-Jean. Alors que tous les espoirs de caser enfin Bernadette étaient permis puisque Constant Aubé était rentré dans les bonnes grâces de l’institutrice, voilà que Dionne venait jouer l’empêcheur de tourner en rond.
— Si le bon Dieu a décidé que Hubert va avoir sa fromagerie, il va l’avoir, se borna à répondre Marie en continuant à préparer la pâte à pain, debout devant la table de cuisine. Grouille, Bedette, ordonna-t-elle à sa fille cadette. Arrête de regarder dehors et surveille tes beignes sur le poêle.
— Surtout que ma tante Mathilde les aime pas mal, fit sa fille, sarcastique.
— Toi, viens pas parler de malheur ici dedans, répliqua sèchement sa mère. Il manquerait plus qu’elle nous tombe dessus dans le temps des fêtes.
— Je vous rappelle, m’man, que l’année passée, elle est surtout allée chez mon oncle Armand. La connaissant comme je la connais, elle voudra pas faire de jaloux.
— Elle a bien trop peur des mulots, intervint sa belle-sœur, n’ayant guère envie de supporter la religieuse et sa compagne durant plusieurs jours.
— Il faut pas t’en faire, fit Bernadette, moqueuse, elle va offrir ce sacrifice-là au petit Jésus.
— Veux-tu arrêter de parler pour rien dire et t’occuper de ta besogne, conclut sa mère.
Ce soir-là, Hubert et Donat rentrèrent plus tôt du bois où ils avaient bûché toute la journée. Ils firent le train avant de s’attabler pour le souper. C’était devenu une sorte de routine les samedis et dimanches soirs pour permettre à Hubert de faire sa toilette et d’aller veiller chez les Dionne.
Celui-ci n’avait rien dit aux siens du délai exigé par le propriétaire du magasin général. Seul Constant Aubé était au courant. Ce samedi soir là, passablement nerveux, le jeune homme vint frapper à la porte d’Angélique. Il était impatient de connaître la décision de Télesphore Dionne. Comme d’habitude, il fit bonne figure aux parents de sa belle et s’informa de leur santé avant de suivre Angélique au salon. Il entendit remuer une chaise, signe qu’Alexandrine venait de se rapprocher de la porte du salon pour mieux surveiller ce qui s’y passait.
— Est-ce que ton père t’a dit ce
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